Tied & Tickled Trio est un sextet qui a un rêve : faire apprécier le jazz à ceux qui n’en sont pas des habitués. La liberté d’action et de création qui l’habite leur a permis de le réaliser.
Dans la lignée tracée naguère par Kraftwerk (qui revient d’ailleurs, à la mode?), les musiciens allemands se sont bati une véritable réputation dans ce qu’on appelle communément l’électro, et en tout cas dans ce qu’elle a d’innovant. Que ce soit celle qui recycle les années 80 comme Gonzalez et Miss Kittin, ou que ce soit dans le Trip-hop comme Terranova, ou enfin dans l’out-rock comme Tarwater, l’Allemagne est devenue la patrie du genre. Et le groupe que voici vient s’ajouter à cette longue liste en explorant encore ailleurs.
Tied & Tickled Trio est un groupe allemand donc, formé essentiellement de Johannes Enders et des frères Acher, ces derniers étant membres du groupe The Notwist. L’un des deux frères est également membre de Lali Puna. Tous ces groupes ont en commun la recherche d’un autre son électronique, principalement en allant le chercher dans le jazz.
T&TT n’est pas un trio comme son nom pourrait le faire croire mais un sextet. Observing Systems est leur quatrième album, ils ont sorti un premier disque éponyme en 1998, un deuxième EA1 EA2 en 2000, et enfin Electric avenue tapes en 2001 . Le sextet se propose de marier l’électronique allemande au Jazz traditionnel style Blue Note. Ils profitent des ‘vacances’ du groupe The Notwist pour donner libre cours à leur créativité insatiable.
Cette initiative est franchement salutaire. Le résultat est largement à la hauteur des attentes du groupe, qui peut s’enorgueillir de donner au novice le goût du jazz. Et ceci grâce à une sauce Trip-Hop électronique qui efface le côté parfois difficile d’accès, voire rébarbatif du genre.
Leur méthode est simple et calquée sur le jazz : Micha Acher (Guitare basse, Trompette, Piano) et Johannes Enders (Saxophone ténor, Flûte, Piano), les compositeurs, enregistrent la trame et ensuite Andreas Acher (Batterie, Percussions, Sampler) et les autres membres du combo, Stefan Schreiber (Saxophone ténor, Clarinette) et Ulrich Wangenheim (Clarinette basse, Flûte) ajoutent leur grain de sel. Ce n’est qu’une fois ces ingrédients mis à plat que l’on ajoute les percussions, le piano, l’orgue (qui fait tellement penser aux séries des années 70 comme Les rues de San Francisco). Le mélange, le mix comme disent les anglo-saxons, vient peaufiner la mixture finale. Il ne faut cependant pas oublier que, comme au jazz, l’improvisation joue un rôle important ici, voire central dans le processus d’enregistrement.
On sent véritablement les membres du groupe à l’aise, pouvant s’en donner à coeur joie, oubliant les barrières et autres obstacles lésant le processus créatif. Ce disque peut se diviser en deux parties, voire trois, dont les chansons se mélangent plus qu’harmonieusement. D’un côté, c’est le jazz qui prime, de l’autre, le dub aux sons hypnotiques. Enfin, quelques titres rappellent que ce groupe allemand n’est pas tout à fait étranger au mouvement out-rock teuton, comme « Radio Sun 1 » et « Radio Sun 2 ».
Les titres jazz, les plus longs, lorgnent vers le jazz classique, celui qui va de Duke Ellington à Miles Davis, de John Coltrane à Mingus. Parfois, ils se laissent même emporter vers le free jazz d’Alice Coltrane. Les ambiances apportées par les cuivres font aussi penser au jazz utilisé dans les films de série noire américains des années 70. « 3.4.E » , sa contrebasse et sa clarinette rentrent dans cette dernière catégorie. Ce tempo hypnotique arrosé par des cuivres chantants renvoie aux sentiments de plénitude qu’évoque si souvent la musique la mieux à même d’exprimer le sentiment amoureux.
Les dialogues trompette-saxophone-trombonne-clarinette de « Bungalow » font regretter le temps de Buckshot LeFonque, le projet hip-hop-jazz-soul-reggae-rock si réussi qu’avait lancé le saxophoniste Branford Marsalis (lancé par Sting en tant que clarinettiste dans The Dream of the Blue Turtles mais surtout par le hit « An englishmen in New York »). Ce dernier a en commun avec le projet ci-présent une authentique passion pour le jazz et arrive à le transmettre au delà des traditionnels moyens de diffusion. C’est le fait de voir Buckshot LeFonque en concert qui m’a donné le goût du genre. Plus que tout autre chose, le fait de voir les musiciens jouer (et a fortiori des cuivres) est capital dans la relation que l’on aura par la suite avec cette musique si chère au grand « Miles ».
Les titres dub ne sont pas dénués d’empreinte jazz, non, mais semblent avoir été pensés autrement. Ils comportent semble-t-il moins d’improvisation, sont plus dansants, plus légers aussi et ce n’est pas plus mal. Ils équilibrent la complexité de titres plus ambitieux et amènent une variété qui ne peut qu’aider à ne pas se lasser de la plaque tournante.
Les deux titres qui se suivent, « Radio Jovian » et « Like Armstrong + Laika » (en hommage au premier homme et au premier chien sur la lune), ont un côté industriel qui met bien en valeur les quelques touches de piano et de percussions qui réveillent l’auditeur d’une torpeur floue qui ma foi est si relaxante en ces temps difficiles. La légèreté! Il n’y a que ça de vrai. Quant à « Henry + the ghosts » , le titre qui clôt l’album, il invite pernicieusement à une sieste crapuleuse.
Le site de Tied & Tickled Trio