Ce disque n’est pas vraiment obscur, mais reste trop souvent oublié pour cause de réédition CD inexistante depuis près de 15 ans, ce qui lui confère par bien des aspects des allures de secret d’initiés… le genre de trésor que l’on se transmet entre fans de la chose rock où que l’on acquière après avoir remonté la filière. A vrai dire, le vrai amateur de rock hanté se doit de posséder les trois premiers albums du Gun Club dans sa discothèque personnelle. On se penchera ici sur le second, la paroisse Miami, certainement celui qui a le moins souffert de l’usure du temps.
Une pochette d’une classe folle, avec ce grain photo vert pal et malade où le groupe pose devant deux palmiers vertigineux qui semblent toucher le ciel. Les trois gringos scrutent l’horizon, cliché rock n-roll s’il en est, mais on sent que quelque chose de pourri traîne dans l’atmosphère. Nous allons vite le vérifier.
1982, le club de Jeffrey Lee Pierce commence à sérieusement prendre de l’altitude. Artistiquement d’abord, après un premier album brouillon (Fire of Love, 1981) mais qui fait figure désormais de classique tant sa fureur et ses incantations vaudoues habitées ont fait école. Puis en termes de renommée, devenu coqueluche de journalistes européens qui les considèrent comme les nouveaux Doors.
A l’aube de rentrer en studio pour enregistrer son second le Gun Club décide de donner plus de profondeur à son rock. Pour cela, le groupe fait appel à un producteur vedette : Chris Stein plus connu en tant que guitariste de Blondie, dont Lee Pierce fut un temps le président du fan club ( !!!). L’alliance peut paraître saugrenue, mais elle fera pourtant des merveilles. Derrière la console, Stein parvient à resserrer les boulons et à mieux domestiquer les chansons, insufflant un son limite crépusculaire.
La production est moins sale que sur Fire of Love et le Gun Club développe une sensibilité mélodique plus fine par le biais d’autres ambiances : le tempo est plus varié, un piano discret intervient sporadiquement ainsi que des choeurs féminins (la grande Debbie Harry y officie en personne sous le pseudo D . H. Laurence Jr) et des effluves de slide guitar font maintenant partie intégrante du son.
L’essence du Gun Club, c’est d’abord cette voix, semblant toujours sur la brèche, capable d’atteindre le niveau d’intensité d’un Jim Morrisson, ce qui n’est pas peu dire. Fire of Love montrait déjà l’étendue de la palette vocale de Jeffrey Lee Pierce, mais sur Miami, la tension monte d’un cran. « Carry Home », fabuleuse ouverture, présente une voix remplie de sanglots, usant de trémolos qui hérissent le poil. Certainement la chanson la plus poignante du répertoire du Gun Club. 15 ans plus tard, Mark Lanegan rendra hommage à son ami défunt, dans une magnifique version tout en retenue.
Réputé pour son rock sur la brèche, le Gun Club était pourtant bien plus que ça… Lee Pierce était un compteur fantastique, et de cet opus, derrière quelques instants de rock n’roll bien sentis (“Like Calling up Thunder”, “A devil in the Woods” », “Bad Indian”), s’échappe une poésie triste que l’on ne retrouve que dans les disques de blues urbain. Derrière des histoires de diable et de déception amoureuse, Lee Pierce s’est construit un romantisme noir et biblique qui n’est pas sans rappeler le prêcheur punk Nick Cave. Miami est d’ailleurs un disque de mort. Intitulée en hommage, cette ville de Floride, qui symbolise pour Pierce un immense cimetière des éléphants.
Miami est un véritable voyage vers l’Amérique des désoeuvrés. A travers “Run Through The Jungle”, reprise transcendée du Creedence Clearwater Revival, le groupe parvient à donner du sang frais aux éternelles accords binaires du blues, tout en captant l’esprit originel du genre. “Texas Serenade”, ballade country/punk avec ses relents de Lap steel prouve que le groupe a également parfaitement ingurgité la culture musicale de son pays de ses 50 dernières années, tout en influant un sacré dose de rock. “Watermelon Man”, augmenté de percussions tribales draine un cérémonial de feu de camp indien, une nuit de pleine lune. Et puis il faut mentionner la pièce de résistance “Fire Of Love”, cette chanson sur le jeu mortel de l’amour avec son intro emprunté à “Hello I love You” des Doors, qui se transforme en implacable furia rock n’roll à la fois exaltée et surpuissante. « Le » classique du groupe.
Le tour de force de ce disque, c’est qu’en pleine période synthétique, le Gun Club parvenait à réinventer le rock et à lui rendre une flamboyance et une sophistication qu’on n’osait plus entendre de la part d’une combinaison ultra-ressassée (voix, basse, guitare, batterie). Avec Miami puis The Las Vegas Story (enfin réédités par les respectueux rockers de Sympathy for The) le Gun Club asseyait sa légende et ne cessera dorénavant de hanter le fantasme de moultes formations, de par son rock vaudou, mais aussi pour son intégrité, devenus depuis cas d’école.
Le jour de la traumatisante disparition de Jeffrey Lee Pierce un printemps 96, Bertrand Cantat apprend la nouvelle alors qu’il est en studio, il empoigne sa guitare et s’enferme seul à 3 heures du matin, pour enregistrer ce qui deviendra « Song For Jeffrey », un gospel poignant où le leader de Noir Désir tire de sa gorge des larmes de tristesse. Depuis, nous demeurons inconsolables.
PS : En complément de Miami, on ne saura que trop conseiller de se procurer le chef-d’oeuvre solo de Jeffrey Lee Pierce, Wilweed, ou la voix du texan atteint encore des sommets divins.
Tracklisting : Carry Home, Like Calling Up Thunder, Brother and Sister, Run Through the Jungle, Devil in the Woods, Texas Serenade, Watermelon Man, Bad Indian, John Hardy, Fire of Love, Sleeping in Blood City, Mother of Earth.