En gommant ses petits rictus parfois désagréables qui gâchaient un peu le plaisir des disques précédents, le vaisseau amiral de Dan Bejar n’a jamais paru aussi flamboyant. Fraîchement émancipé, Destroyer peut enfin se magnifier.
A vrai dire, les galettes précédentes du canadien Dan Bejar (officiant sous le patronyme Destroyer) ne nous avaient pas franchement convaincu, soutirant au mieux un ennui poli mais profond. Par contre, son travail aux côtés de Carl Newman et du super groupe The New Pornographers se révélait hautement plus qualitatif, grâce à deux albums de power pop irrésistibles. Nous nous étions donc cantonnés à cette analyse un peu trop expéditive que le bonhomme valait mieux en tant que bras droit de Newman qu’au sein de son propre groupe. Peut-être que la comparaison avec le caractère instantané des New Pornographers avait pesé un peu hâtivement sur note jugement, la musique de Bejar étant bien plus complexe d’approche.
Il va falloir sûrement réévaluer son jugement, car ce sixième album de Destroyer révèle une oeuvre ambitieuse et bien plus subtile qu’elle ne le laisse apparaître en premier lieu. Enregistré à Vancouver avec une formation réduite au trio (le groupe a déjà accueilli cinq musiciens dans ses explorations précédentes), Bejar semble n’avoir jamais aussi bien maîtrisé son petit environnement sonore qu’aujourd’hui.
Disque au romantisme exacerbé, Your Blues est une collection de fausses ballades au goût aigre. Les claviers ont repris une place plus prépondérante (chaque musicien y est crédité en tant que claviériste) que sur This Night, son disque précédent. Mais surtout, Your Blues se veut un disque plus sophistiqué et Glam dans son esprit, avec des paroles au romantisme abstrait et surtout une conception très théâtrale de la musique.
Cela débute sur des accords de piano plaqué, rappelant l’inaugural « Five Years » du Ziggy Stardust, tout aussi poignant que son modèle, mais Bejar brouille les pistes à l’aide de sons parfois à la limite du grotesque, laissant un arrière-goût de décadence magnifique. Your Blues se rapproche donc beaucoup de ce que faisait Bowie en pleine période boots compensées, mais c’est indéniablement vers Luke Haines et ses trop sous-estimés The Auteurs que notre préférence va.
Voilà peut-être bien le disque que l’on attend de Haines depuis After Murder Park : l’usage de nappes de violons synthétiques à la limite du kitch (« The Music Lovers », « Your Blues »), puis cette voix avec ces mêmes intonations (le mimétisme est troublant sur « it gonna take an airplane » )… tout cela rappelle beaucoup cette mise en scène à la fois précieuse et cynique si caractéristique de The Auteurs et Black Box Recorder.
D’une cohérence aussi imposante qu’un bloc massif et indivisible, ce blues moderne révèle chaque fois de nouvelles splendeurs : « New Ways of living » et son caractère baroque, « Mad Foxes » avec ses trompettes inconsolables, « New Ways of living » et ses synthés subversivement pompiers…
Enfin, le disque se clôt sur « Certains Things You Ought To Know » une ballade funèbre magnifique où Bejar, de sa voix précieuse, tente de dévoiler à sa compagne un terrible secret qui l’étouffe.
Il faut se rendre à l’évidence, Your Blues donne follement envie de réécouter les autres disques de Destroyer, histoire de voir si l’on n’a pas loupé quelque chose en chemin…
-La page de Destroyer, sur le site de [Talitres->
http://www.talitres.com/destroyerf.htm]