Le troisième album du classieux pianiste ravira les amateurs de pop baroque et autres avides de ballades au piano crève-coeur. Remarquable, mais un brin frustrant tout de même…


Dès ses débuts, Ed Harcourt faisait figure de jeune prodige. Un premier EP fracassant à 23 ans (Maplewood), dévoilant une sorte de croisement hybride entre Brian Wilson et Tom Waits, puis un long format, Here Be Monster confirmant le potentiel « monstrueux » que l’on se faisait de lui sur une poignée de titres fulgurants. Son second disque, à l’intensité moindre – malgré une ambition affichée- nous avait un peu écarté de lui, mais l’estime perdurait toujours grâce à une preuve de bon goût irréfutable.

A vrai dire, la seule chose qui nous turlupine sur le cas Harcourt c’est que l’on attend beaucoup d’un musicien de son espèce : pianiste inspiré, un talent pour des compositions qui ont une allure grandiloquente, ainsi qu’un chanteur aux possibilités vocales époustouflantes (Il faut écouter sa sublime et judicieuse version de « Still I dream of It » du Beach Boys en chef, Brian Wilson). On sent que le gaillard n’a pas vraiment droit à l’erreur, tellement les derniers prétendants au trône du genre se réfèrent à une dynastie prestigieuse : Jeff Buckley et Rufus Wainwright. Contrairement à eux, Edouard n’est pas « le fils de », mais on le suspecte tout de même d’avoir été adopté par l’un des frères Wilson.

Très actif ces derniers temps (on a pu l’entendre pianoter aux côtés de Ron Sexsmith, mais aussi prêter sa voix sur le disque du Norvégien Fred Ball, Pleasure), on se demande bien comment le beau Ed – non, pas l’épicier – a bien trouvé le temps pour concocter des mélodies toujours si riches et inspirées.

Pour ce troisième opus, le jeune homme a délaissé l’institutionnel Tchad Blake pour rejoindre en Suède le vigoureux Jari Haapalainen, plutôt connu pour ses états de service avec les fougueux The (International) Noise Conspiracy. A noter que le fidèle trompettiste Adrian Garrard a pris du grade, désormais co-crédité en tant que producteur.

Ce parti pris de producteur « musclé » ne dénote aucun revirement artistique et ce malgré une entrée en la matière trompeuse, « A storm is coming”, où un larsen plonge l’auditeur dans la confusion, le temps que quelques notes de pianos viennent recadrer le contexte. Toujours concentré autour du binôme Piano/voix, Strangers semble revenir vers un certain équilibre de la composition. On retrouve ici des chansons de facture plus classique que sur From Every Sphere d’où quelques refrains évidents (mais jamais putassiers) semblent émerger. Mais surtout, Ed Harcourt affine incontestablement son songwriting avec le temps.

Entouré d’une mini-section de cordes, ses compositions au piano ont vraiment de la gueule – comme on dit. Légèrement moins précieux que les autres « fils de », Harcourt aime s’entourer d’une présence féminine au chant en contre-plan, et cette formule lui va à ravir. Malgré tout, on reste toujours sur la défensive, légèrement insatisfait, conscient que l’album est bon mais que le monsieur pourrait être aisément capable de se surpasser… Surtout lorsque, proche de l’épilogue, le bougre nous lâche un morceau magistral, “Kids”, pas loin de la déchirure émotionnelle du titre homonyme de Lou Reed -les pleurs du morveux en moins.

Coincé entre quelques Ballades au piano bucoliques agréables (“This one’s for you”, “Something to live for”), il faut avouer que lorsque le monsieur se lâche, celui-ci est capable de véritabes tours de force divins, comme en témoigne “The Music Box” qui démarre timidement puis grimpe les marches du sublime, ou le temps d’un “Born in the 70’s”, sous forme de panorama introspectif et nostalgique. “Loneliness”, l’un des morceaux les plus vigoureux du lot, pourrait même prétendre à son premier tube, ce qui ne serait que pure justice.

On a peut-être injustement tendance à trop faire la fine-bouche face au cas Harcourt, mais au fond de nous – et ce malgré ce que sous-entend son titre – Ed Harcourt n’est plus un étranger pour nous.

-Le site d’ Ed Harcourt