Parler de Slowdive ou évoquer le jeu fantastiquement maladroit du batteur de Sigur Ros, voilà ce que vous réserve un entretien avec Sébastien Schuller, nouveau prodige français de l’electro-pop éthérée made in france.
Franchement, ça faisait un petit moment qu’on attendait un petit outsider français capable de nous rassurer sur le potentiel des tricolores face à la concurrence anglo-saxonne.


Ce parisien possède réellement quelque chose, rien à voir avec ces artistes montés en épingle par une presse peinant à remplir son quota de couvertures tricolores. Il suffit d’écouter, Happiness, « un disque optimiste teinté de mélancolie », selon la propre définition de l’intéressé, pour se faire une opinion solide là-dessus : une musique aussi pur qu’un flocon de neige venant se poser contre votre fenêtre.

Assis tranquillement dans des locaux du 1er arrondissement parisien, cet ancien bibliothécaire s’habitue à son nouveau statut de musicien professionnel enchaînant depuis le début de l’après-midi inteview sur interview. Visiblement le dernier sur la liste, votre serviteur craint que la fatigue n’ait raison de cet ultime , mais amicalement. A la fois timide et serein, Sébastien avait visiblement encore des choses à dire…

Pinkushion : On va commencer par une question basique. Depuis quand joues-tu de la musique ?

Sébastien Schuller : Depuis l’âge de 10 ans, donc ça fait 23 ans ! (rire) Je faisais de la percussion classique en école de musique, avec solfège, j’en ai fait pendant à peu près huit ans. Un peu par frustration de ne pas pouvoir étudier la batterie, car il n’y avait pas de cours de batterie, mais il y avait des batteries dans les salles de percussions, j’ai pu donc en jouer un peu… C’était plus de la batterie classique que de la batterie rock. En fait, je pense que j’avais un attrait pour la musique très tôt, dès mon enfance. D’après ce que me disaient mes parents, tout petit j’étais branché musique, je réagissais assez rapidement lorsque de la musique passait à la télé. Et puis au départ il y avait des journées « portes ouvertes » à l’école de musique, où tu pouvais aller essayer différents instruments. Au départ je voulais faire de la harpe ! (rire) Je trouvais l’instrument super joli, mais bon, le problème c’était pour en avoir une chez soi, c’était super cher en location.
Le deuxième instrument que je voulais essayer c’était le violon, mais ça risquait peut-être par la suite de casser les oreilles à mes parents. Et puis finalement ce fut la batterie, ça aurait encore plus cassé les oreilles à mes parents, sauf que nous étions dans un appartement et je n’en ai jamais eu à la maison. C’est vrai que c’est l’instrument avec lequel je me suis le plus lâché le jour des portes ouvertes !

Tu as donc des notions de solfège…

J’ai des notions car j’en ai fait pendant huit ans, mais c’est une science que j’ai laissé de côté depuis longtemps.

As-tu toujours voulu être musicien ?

A partir de l’âge de 14/15 ans, c’est devenu assez ancré dans mon esprit : « j’aimerai passer le plus clair de ma vie à faire ça, voire en vivre… ». Ca c’est approfondi avec le temps et les premières expériences de travail que j’ai pu avoir dans lequel je ne me sentais pas du tout à ma place. En tout cas, le fait de travailler pour quelqu’un d’autres au sein d’une entreprise, je me sentais totalement étranger à ça.

Tu as un instrument de prédilection ?

Je me suis mis au clavier vers 17/18 ans. Toutes mes compositions de départ passent par le clavier, même si maintenant cela peut aussi venir de la guitare, je me suis mis à la guitare encore un peu plus tard de manière autodidacte.

As-tu joué dans d’autres groupes avant de te lancer dans une carrière solo ?

Comme tout le monde au départ avec des groupes de lycée. Ensuite j’ai été dans une première formation avec un pote où je composais et chantais un peu. Ensuite, j’ai joué dans un groupe indie au début des années 90 où là je jouais de la batterie. On a joué pendant trois quatre années sous cette formule là ensemble, ensuite j’ai quitté le groupe parce que je trouvais qu’on n’avait pas tous la même volonté d’avancer. J’ai donc quitté pour travailler des compos que j’avais écrites en parallèle. Et puis finalement j’ai encore travaillé avec eux parce que c’était resté des amis, on avait crée un système de binôme où on était quatre et travaillions chez les uns et les autres : il y avait un premier binôme qui faisait dix morceaux en l’espace d’un mois et demi, et puis un second qui écrivait une chanson sur un an. (rire) Il y avait donc un problème de rythme. Parallèlement à ça, j’ai pris beaucoup de plaisir à composer et arranger tout seul et cela a pris le dessus.

Quelles étaient tes inspirations à l’époque ?

Au début des années 90, c’était un gros mélange de rencontres musicales parce que j’écoutais beaucoup de jazz et je découvrais l’indie pop à travers des groupes comme My Bloody Valentine, Slowdive et les Stones Roses, mais aussi la techno. Je pensais que l’indie pop et la techno pouvaient réellement se mélanger pour faire de la composition un peu différente.

Et tu penses que ça l’a fait finalement ?

Ben plus ou moins. Pour moi la musique trip hop a découlé du mouvement techno et cela a ouvert pas mal de compositions qui ralliaient électro-acoustique et musique électronique. Donc c’est pas l’“indie pop + la techno”, mais sur la longueur je pense que les styles se sont croisés et que des groupes arrivent à mélanger cela. Bon, maintenant les inspirations électroniques peuvent venir de beaucoup plus loin que la techno, mais cette musique fait partie d’un cycle supplémentaire.

Ton EP Weeping Willow est sorti il y a deux ans et avait été très bien reçu par la critique. Et puis silence radio depuis. Comment te sens-tu à quelques jours de cette sortie d’album ? (NDLR : cet entrelien eut lieu 1 mois avant la sortie de l’album)

Assez détendu. Pour l’instant ça se passe pas mal, en tout cas les gens en presse apprécient le disque. Ça fait déjà plaisir d’avoir ces premiers retours. J’ai tellement attendu pour faire ce disque, au moins dix ans. En même temps, il faut essayer de ne pas reposer sur ses lauriers et déjà travailler sur un nouveau disque. J’ai surtout hâte de me remettre à composer en fait. Bien sûr, si ça fonctionnait un peu, il pourrait découler des possibilités plus faciles pour faire des concerts et pour enregistrer de prochains albums. Forcément, il y a une certaine attente mais en même temps faut pas se focaliser là-dessus, une fois que ça sort ça ne vous appartient plus et c’est le public qui juge si ça vaut le coup ou pas.

Que s’est-il passé exactement avec Capitol, qui avait sorti ton EP ?

C’est une période où ils étaient en train de fusionner au niveau des groupes, ils ont licencié pas mal d’artistes et de personnel. Je pense que pour mon projet, même si ça avait bien fonctionné dans le cadre d’un maxi, ils n’avaient aucun moyen de calculer la portée du truc… en gros ils ne savent pas ce que c’est un maxi. C’est assez bizarre que j’ai sorti un maxi sur une major, et surtout un maxi assez indépendant. A l’origine, c’est l’ancienne personne qui s’occupait des 45 tours auparavant qui avait donné son aval au directeur artistique qui m’aimait bien pour signer le premier maxi. Ce maxi, c’est comme si j’avais fait un 45 tours parce que j’avais juste un tube et la chance d’un débutant. En gros, je n’étais pas forcément à la bonne place et je ne leur donnais pas d’espérance de vente comme il le faudrait. J’étais appelé « artiste en développement ».

C’est étrange pour un artiste comme toi avec ton créneau un peu indépendant, d’avoir été propulsé chez Capitol-EMI.

Oui. C’est un peu le hasard des rencontres. J’avais d’abord signé en édition chez Warner et la personne qui m’a fait la proposition la plus rapide, ça a été le directeur artistique de Capitol à l’époque. C’est quelqu’un qui a toujours un intérêt pour les musiques créatives et nouvelles. Il m’ a suivi pendant près d’un an et a joué le jeu auprès de la direction pour que je fasse au minimum un disque. Depuis, il m’a suivi encore et maintenant il s’occupe un peu de moi. C’est un peu grâce à lui.

Suite au quatre titres, pas mal de gens avaient écouté et plusieurs labels se sont montrés intéressés pour prendre la succession. C’est Catalogue, qui est la deuxième entité du Village Vert – la partie un peu plus pop electro du label- qui m’a signé, ça c’est fait très vite.

A partir de là, combien de temps as-tu passé à enregistrer l’album ?

Sur l’album, il y a deux ou trois titres qui dataient de l’époque de Weeping Willow. J’aime encore ce titre et je voulais le garder, le morceau est d’ailleurs le même, je n’ai rien retouché.. Ce qui est assez drôle, c’est que les gens ont considéré à l’époque ce maxi comme un mini-album parce qu’il y avait 4 titres et qu’ils étaient assez longs. Pour moi, c’était juste un maxi qui faisait appel à un album. Il y a aussi deux autres titres qui datent de cette époque là mais qui n’étaient pas sur le maxi. Tous les autres titres ont été composé pendant le laps de temps où j’ai quitté Capitol, c’est à dire pendant à peu près six mois.

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Comment composes-tu ?

Au départ, j’enregistre tout chez moi dans mon appartement, les arrangements et les claviers. Après je me rends en studio avec des musiciens, un bassiste et un guitariste, des amis à moi qui me suivent depuis l’époque du maxi. On va donc en studio pour enregistrer dans de bonnes conditions les parties complémentaires, surtout des orgues et des pianos que je n’ai pas chez moi car je travaille essentiellement sur mon ordinateur. A chaque fois que je peux remplacer une sonorité un peu pauvre que j’ai pu créer chez moi et que je sais que je peux un avoir apport supplémentaire avec un instrument organique, je n’hésite pas à le faire. On a passé trois semaines en studio en banlieue parisienne et j’ai été ensuite rejoint par un pote anglais, Paul Hansford (Brothers in sound), qui est venu co-produire certains titres.

Sur l’album, tu alternes entre instrumentaux et chansons. Est-ce que c’est facile pour toi de savoir si un instrumental deviendra une chanson ?

D’une part, il peut y avoir des instrumentaux qui peuvent éventuellement se suffire à eux-mêmes. Mais souvent, c’est plus parce que je n’ai pas trouvé la mélodie de chant adéquat et qui me plaisait suffisamment pour en faire une chanson. La raison aussi, c’est que souvent ces instrumentaux ont un thème mélodique assez fort et c’est vachement dur de placer une harmonie supplémentaire dessus. “Le dernier jour” aurait pu faire une sacrée chanson, j’aime beaucoup le thème mélodique, mais je n’ai jamais réussi à trouver la mélodie voix qui aurait propulsé ce titre en chanson.

Eternel dilemme !

Oui, mais bon, il vaut mieux laisser un titre en version instrumentale plutôt que d’y ajouter une mélodie un peu moyenne.

Parlons un peu de ta voix. Elle est souvent maquillée et me rappelle parfois Thom Yorke. Spécialement lorsqu’il chante sur des titres comme Street Spirit.

J’avais adoré ce morceau de Radiohead. Après, pour la manière de chanter, je ne sais pas exactement d’où elle te vient. J’ai jamais vraiment essayé de chanter comme Thom Yorke, même si j’adore ses mélodies. J’essaie juste parfois d’analyser son système de création et recherche mélodique. Là, c’est vrai qu’il m’intrigue énormément à ce niveau-là. Pour le timbre, c’est un peu du hasard, peut-être qu’on est un peu fatigué par la bière (rires).

Tu as travaillé avec des anglais sur ce disque. Est-ce que tu penses que ton travail aurait été différent chez Capitol si tu avais travaillé qu’avec des français par exemple ?

Tout dépend des morceaux. Si je te dis non, ce serait mettre de côté l’apport de Paul et Andy. Ceux qui connaissaient auparavant ne trouvent pas que cela sonne vraiment différent des mes maquettes. Quelque part, c’est le jour et la nuit, mais au niveau des teints, tout était déjà là. Je passe beaucoup de temps à créer des sons et je pense à la couleur sonore dès la composition. Je sais déjà vers quoi se dirigera la couleur finale. Sur “Donkey” par exemple, c’est Paul qui a eu l’idée brillante de faire des choeurs et faire franchir une étape supplémentaire. Cela poursuit totalement à l’idée première que je voulais donner à ce morceau, ce traitement à la Slowdive. Il a eu la Magic Touch anglaise (rire).

“Donkey Boy” d’ailleurs est-il inspiré du film Julien Donkey boy ?

Ben pas forcément, même si j’aime beaucoup Harmony Korine. C’est plus des petites histoires que je me fais pour moi au départ et qu’ensuite j’essaie de faire partager. Il y a une sorte de réflexion sur des personnes qui se laissent influencer à faire des mauvaises choses. On a toujours eu des personnes dans notre entourage à l’image de Pinocchio : un petit garçon qui lui propose de venir fumer des cigarettes et boire de l’alcool sur la plage et qui se retrouve ensuite coincé dans un cirque. Il se met enfin à se transformer en âne parce qu’il fait l’école buissonnière. C’est juste de l’ironie sur le vagabondage.

Il y a beaucoup de chansons au ton mélancolique sur cet album. Pourquoi lui avoir donné ce titre un peu aux antipodes, Happiness ?

Parce que malgré tout, derrière ce climat mélancolique, je laisse quand même entrevoir une certaine espérance. Il y a un certain bonheur parfois un peu naif. En même temps, c’est aussi des questions sur le bonheur que l’on recherche depuis tant de temps : qu’est-ce que c’est ? Est-ce qu’on ne l’a pas réellement déjà ? Est-ce qu’on le trouvera un jour ? Est-ce que cela durera ou pas ? En fait, je pense que c’est éphémère et qu’il faut juste apprendre à vivre avec des contrastes, sachant que ça changera toute notre vie quoi ! (rire).

Il y a aussi beaucoup de choses qui se croisent dans ce mot-là. J’aimais bien sa sonorité.

Il n’y a qu’une seule chanson titrée en français, c’est la dernière sur l’album, « le dernier jour ». N’y a-t-il pas un côté ironique là-dedans ?

Non, là c’est totalement du hasard en fait. A l’époque où je faisais beaucoup plus d’instrumentaux, j’avais des titres en anglais, mais aussi d’autres titres en français. J’avais un morceau qui s’appelait “Sonotone” (appareil pour les malentendants). “Le dernier jour”, je l’ai écrit en regardant un film sans le son qui s’appelait The Last Night, un film qui parlait de la fin du monde. C’était l’époque où Arte diffusait des courts-métrages pour l’an 2002 et donnait carte blanche à plusieurs réalisateurs. C’est l’histoire d’un couple qui se rencontrait et finalement décidait de passer leur journée en buvant du champagne, tout en sachant que la terre allait exploser. La musique m’est venue parallèlement.

Tu pourrais donc très bien faire des BO alors !

C’est vrai que c’était carrément du travail à l’image. J’aime bien travailler avec la télé allumée mais sans le son, faire des interférences entre l’image et la musique que tu joues.

Enfin, peux-tu me donner tes cinq disques préférés ?

Laughing Stock de Talk Talk. C’est pour moi un gros classique, parce que d’une part il laisse place au silence. Je pense aussi que c’était la première fois que j’entendais des morceaux aussi planants, aussi éthérés. En plus, il m’a nourri pendant à peu près dix ans : je pouvais le réécouter et m’en refaire à chaque fois un nouvel avis. Mais ça ne s’arrête pas qu’à ce disque-là pour Talk Talk, j’aime tous les albums et même l’album solo de Mark Hollis.

Supertramp également pour la premières rencontres musicales (rire). Au départ j’adorai les premiers albums de Supertramp : Crime of the Century et Crisis ? What Crisis ? sont pour moi de gros classiques que j’ai écouté des milliers de fois. Je sais que les gens qui écoutent Supertramp sur le tard peuvent avoir une image négative du groupe. Malgré tout, je trouvais ça très très riche, Roger Hodgson – l’un des deux chanteurs – est un très bon mélodiste aussi. Il y a encore un titre que j’adore, c’est “A Soapbox Opera” sur Crisis ? What Crisis ?

OK Computer de Radiohead aussi, encore un grand classique de la pop… Pourquoi pas la compilation des Cure, Staring at The Sea. Là, pour une compilation, pour le coup je la trouve vraiment fantastique et on se rend compte à quel point ce groupe était efficace sur leurs singles, aussi bien dans leur côté pop song que personnel.
(silence)
Hum, j’arrive pas à trouver un cinquième album. Je n’ai pas vraiment d’album culte en fait. Soit un Depeche Mode, soit l’album blanc de Sigur Ros. Celui-là pour moi, c’est vraiment un album monumental, je le classerai au rang des Pink Floyd de l’époque. Le seul truc que je peux attendre de Sigur Ros, c’est le moment où ils mettront un peu plus de rythme dans leurs morceaux. Un peu plus de pop song en fait. Malgré tout pour l’instant, les morceaux sont vraiment détendus, mais c’est plus une volonté. Je les ai déjà entendu sur scène commencer à mettre des rythmes et des guitares un peu plus rythmées, et ça devenait super.

Je les avais vu du temps de leur premier album, le groupe était ok, mais le batteur n’était pas très bon…

C’est vrai, alors que maintenant je le trouve génial ! Je te promets, c’est le meilleur batteur au monde. Je trouve exceptionnel les parties qu’il arrive à sortir sur l’album et sur scène. Il se plante à moitié, mais sa plantade, en fait, il la garde et la continue derrière. Ça devient l’étincelle supplémentaire à Sigur Ros quoi. Je suis batteur à l’origine, et j’aime beaucoup les accidents en musique. Ce qu’il fait pour moi, c’est infaisable. (rires) Tu verras quand tu les reverras en live tu comprendras, il apporte une dimension énorme…

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