On savait l’importance donnée à la musique au cinéma, moins aux jeux vidéo. Il faudra compter désormais avec leur vraie bande son orchestrée par des musiciens à part entière : Amon Tobin suit en musique les aventures de Tom Clancy. Captivant !


A l’instar des grands compositeurs de musique de films qui créent des partitions déterminantes pour l’ambiance d’une scène, le Brésilien Amon Tobin s’est vu demander par le patron de Ubi Soft de réaliser la bande son du troisième volet du jeu vidéo Tom Clancy’s Splinter Cell. Prospère depuis quelques années, le succès de la firme française a donné des idées à leurs dirigeants et pas seulement sur le plan culturel puisqu’ils ont cédé récemment 20% de leur capital à la grosse cavalerie américaine Electronic Arts. Quelques décennies après le cinéma, le monde des jeux vidéo prend pleinement conscience du rôle déterminant donné à des compositeurs plus ou moins influents dans leur style musical de dynamiser et orchestrer la mise en scène autrefois laissée aux mains expertes des concepteurs de jeux.

Ainsi, Amon Tobin s’est mis dans la peau de Tom Clancy pour restituer d’une part ses faits et gestes mais aussi la profondeur de l’action. En sa qualité d’architecte d’ambiance sonore, la tâche du brésilien était de redonner un nouveau souffle et une chaleur humaine aux musiques électroniques généralement présentes dans les jeux vidéo. Ses compositions s’emparent du cadre, elles ne sont pas qu’un simple accompagnement à la mise en scène mais amplifient les émotions des joueurs. La musique s’empare du graphisme, du réel des protagonistes pour captiver notre attention. Elle devient l’élément central du jeu, son vrai moteur qui entraîne les mouvements du corps, la gestion de l’espace.

La bande son de Chaos Theory s’ouvre sur « The lighthouse » morceau dense basé sur une rythmique chaotique soutenue par l’omniprésence d’une basse ronde et percutante. Puis survient « Ruthless » avec ses harmonies hypnotiques qui nous entraînent dans un mouvement oscillatoire. La suite est plus reposante quoique toujours aussi instable, on flirte entre calme et turbulence, « Theme from battery » n’offre qu’une accalmie. Les violons se mélangent à des beats claustrophobes, l’atmosphère est tendue. Le traitement des sons est proche de celui qu’affectionne tout particulièrement Craig Armstrong dans ses scores. Puis, les titres s’enchaînent et se soustraient aux dialogues, à l’action et la narration. La musique de Tobin à la puissance évocatrice invente son propre langage, ses propres images. L’électronique se mesure aux instruments classiques (basse, batterie, piano, flûte, guitare) et jouit d’une liberté lui conférant un champ d’expérimentation vaste.

Des titres comme « The clean up », « El cargo » et « Hokkaido » sont une suite de sonorités spatiales, des mélodies pleines d’angoisse. Les variations du son renforcent l’atmosphère glauque du jeu, chaque thème a son abysse. Les rythmes sont hachés, les mélodies saturées. L’ambiance spatiale et chaotique créée par le compositeur nous fait penser souvent à Massive Attack, autre architecte de la destruction sonore, et l’album Mezzanine. Comme chez les anglais, Amon Tobin forge des arrangements menaçants qui accentuent les séquences à suspens. Au fil des scènes d’action de plus en plus animées, le tempo se fait trépidant. L’auditeur alors privé d’images plonge dans un univers inventé qui risque fort de le pousser à confronter son idée du jeu avec le vrai. En confiant la prééminence à la musique, Amon Tobin comme Ubi Soft a gagné son pari, celui de captiver les esprits.

-Le site de Splinter Cell

-Le site de Amon Tobin