Véritable mine de charbon noir, le successeur de Ground Attitude regorge de petits diamants d’après-rock. Troublant et sauvage.


Tapi dans l’ombre, le genre post-rock fourmille de formations obscures, aussi géniales que méconnues. En général irrévérencieux des canons du rock formatés et tendancieux (morceaux déstructurés à outrance, faux instrumentaux, production inventive) des groupes comme Yume Bitsu, Paik ou encore Kinski ont porté encore plus loin dans leurs retranchements les effluves de reverbes et sensations de six-cordes en lévitation. Plus mélancolique, la musique des parisiens d’Acetate Zero fut dans un premier temps portée vers un Slowcore enneigé, puis a déambulé vers des environnements plus spacieux.

Depuis 1998, cette formation parisienne discrète et imperturbable prend son temps pour enregistrer ses disques, produisant à sa guise une discographie précieuse et fascinante (seulement trois albums à ce jour, peu de concerts également, mais toujours en excellente compagnie avec The New year et Hood entre autres…). Quintette à géométrie variable (tous apportent leur contribution guitaristique à l’édifice), les résidents du repaire Festen se sont construit une personnalité solide et imperturbable, où les parrains Kevin Shields, Jason Pierce et les frères Reid regardent toujours d’un air affectueux leurs progénitures. Pour tout dire, on n’ose même pas évoquer le terme de groupe « français » tellement les affiliations anglophiles d’Acetate Zero rendent le terme ici hors-sujet.

Depuis Ground Attitude sorti en 2002, un nouveau guitariste a intégré le quatuor, apportant encore plus d’ampleur à leurs fondations. Farouches adeptes du fait-maison, ce troisième album ne déroge pas à la rêgle : minutieusement élaboré sur une large période, on imagine facilement nos bidouilleurs se crever les yeux à force de suivre leur boucles d’enregistrement sur le minuscule PC portable de la boutique. Crestfallen, distribué d’abord en catimini par le label Arbouse Recording et décemment depuis peu par La Baleine, suscite l’admiration, un disque dense faisant presque figure de compilation tant ces quinze titres développent une palette variée des richesses d’ambiances (post-rock, shoegazer, dream pop, folk psyché, ambient…).

Situé en première ligne, “Frozen” installe un souffle de larsen glaciale, érigeant sur trois minutes de bonheur une chapelle sixtine de bruit blanc et de stalactites. Certains titres comme le tendu “Storm Perspective means everything” dessinent des paysages irradiés ou lunaires, parfois les deux en même temps. D’autres passages se transforment avec maestria en véritables transes de la distorsion shieldsienne (“Bright delight flame”) portés par de subtils décors électros. Mais ce qui est remarquable, c’est qu’au milieu de ces mini-épopées dissonantes, le versant pop n’est pas négligé pour autant, tel l’intimiste “Ocean Rover” rappellant la sensibilité fragile des productions Sarah Records. Plus ambient, la pièce de sept minutes “Sunrise” vogue lentement vers les délires somnambules chers aux protégés de Kranky, puis se laisse renverser par une vague de distorsion aliénante, magnifique. Pour couronner le tout, ll y a même un hommage à ce vieux fou de Ben Chasny (Six Organs of Admittance) sur le dérangé “Ode to Admittance”.

Disque prodigieusement dense, Crestfallen aurait peut-être nécessité davantage de cohésion d’ensemble, mais c’est son unique reproche et l’on ne voit pas non plus ce qu’on pourrait jeter, tant la qualité présentée ici est indéniable.

Véritable ode à la puissance émotionnelle du larsen et des arpèges infinis, Crestfallen est une oeuvre aboutie, à la sincérité inébranlable qui mérite toute votre attention. Car ces guitares semblent vous parler dans le creu de l’oreille et vous dicter des émotions que très peu de groupes de par chez nous savent développer.

-Le site d’Acetate Zero

-Le site du label Arbouse recordings