Le rock est-il une affaire de mecs? A en croire le nombre de groupes qui existent, on aurait tendance à répondre par l’affirmative. Et si on se retrouve trente ans en arrière – soit en 1976 – des filles qui rivalisent avec des garçons, le punk en connaissait alors peu. Pourtant The Slits, groupe composé de quatre adolescentes rencontrées en Angleterre, va s’illustrer de belle manière dans un milieu plutôt masculin.
Après avoir fait leurs armes au sein de divers combos, dont The Castrators connus pour leur outrance et The Flowers of Romance où un certain Sid Vicious s’y distingue, les quatre femmes (Viv Albertine – guitare, Tessa Pollitt – basse, Paloma Romero aka Palmolive – batterie, Arianna Forster aka Ari Up – voix) se retrouvent pour former The Slits. Comme son nom l’indique, le groupe ouvre une brèche dans le punk et donne à tous les machos de service de sérieux coups de boules. Le son saillant du groupe ressort des stridences de la guitare fuzz, des mugissements de la chanteuse mais surtout de la rondeur de la basse dont les harmonies s’inspirent directement du dub. Aussi, ce n’est pas un hasard si la production du premier album, Cut, est laissée aux mains expertes de Dennis Bovell alors habitué à produire du reggae.
Pourtant, avant de pouvoir sortir un disque, les filles passent des années à écumer les pubs anglais sans qu’un label les repère. Malgré un coup de pouce des Clash – Joe Strummer sortait à l’époque avec Palmolive – qui permet aux Slits d’assurer leur première partie aux côtés des Buzzcocks et de The Subway Sect lors du White Riot Tour en 1977 – Le documentaire The Punk Rock Movie réalisé par Don Letts témoigne de cette tournée – ce n’est qu’en fin d’année 1978 que le groupe décroche un contrat discographique avec Island Records. Un an plus tard, Virgin les signe et leur donne la possibilité d’enregistrer leur premier album. Jusque-là, seules deux sessions radios captées lors des émissions du regretté John Peel en septembre 1977 et avril 1978 sont disponibles sur le marché. Avant la sortie de Cut en septembre 1979, Palmolive rejoint The Raincoats et laisse sa place à un certain Peter Clark (aka Budgie) démissionnaire de Big In Japan qu’on retrouvera plus tard dans Siouxsie and the Banshees.
Connu pour sa pochette plus que pour sa musique – On y voit les trois filles dans un style amazone, posant nues et recouvertes de boue, qui revendiquent leur détermination à se faire une place dans un milieu sexiste – Cut n’est pas écouté véritablement, relayant les compositions au second plan. Il en est de même pour leurs concerts où les mecs s’y pressent plus pour voir des filles en tenue très légère que pour entendre du punk.
Toutefois, même si les membres du groupe ne sont pas des virtuoses dans la maîtrise de leur instrument, ils se distinguent par un choix d’arrangement audacieux pour le style alors emprunté. Ainsi l’ajout d’un piano sur « Typical girls » donne au titre une touche éthérée. La flûte entendue sur le camé « Instant hit », en référence aux problèmes de drogues de Keith Levene (Public Image Ltd), montre une ouverture d’esprit rare dans un milieu punk confiné à un seul style, à associer des instruments classiques à ceux électriques. L’ambiance qui surplombe le disque s’associe parfaitement à la rébellion du mouvement punk avec une rage toute féminine portée par les cris stridents de Ari Up, comme en témoigne le titre « So tough ». L’indocilité et l’insoumission au système bien que signé sur une major sont l’essence du groupe et typique du caractère mutin des Riot Grrrls de l’époque, qui aurait bien fait d’inspirer le médiocre et conformiste mouvement des années 1990. Appuyé par des textes relayant les droits des femmes dans une société mâle où se faisant l’écho d’une lutte contre un monde libéral, la musique des Slits résonne comme autant de coups de massue portés sur la tête. « Love und romance » ou « Spend, spend, spend » en sont de parfaits exemples. Outre une même rythmique saillante, l’influence des Clash est sûrement à l’origine de la direction reggae prise par le groupe. « Shoplifting » ou l’incontournable « Newtown » avec sa basse sortie tout droit des studios de Kingston et ses percussions incongrues donne toute la couleur éclatante à un disque dont les idées sont pillées encore aujourd’hui sans scrupule.
La parution de Cut marque un tournant dans la discographie des anglaises. Dopées par des débuts tonitruants, les trois femmes n’arrivent pourtant pas à retrouver le souffle qui les animait lors de leurs premiers pas. Les années qui suivent Cut sont alors marquées par de nombreux changements de line-up qui sonnera la mort du groupe. Ainsi, on croise dans les rangs des noms célèbres comme Prince Hammer ou encore Don Cherry.
The Slits sortira plusieurs singles d’une bonne tenue et un album, The Return of the Giant Slits en 1981, influencé par des sonorités africaines mais qui ne dépassera jamais l’audace et la fraîcheur de leur premier opus.
– Tracklisting:
1 Instant Hit
2 So Tough
3 Spend, Spend, Spend
4 Shoplifting
5 FM
6 Newtown
7 Ping Pong Affair
8 Love & Romance
9 Typical Girls
10 Adventure Close To Home
11 I Heard It Through The Grapevine
12 Liebe Und Romanze