Enregistré dans les mythiques studios Tuff Gong, ce recueil de standards du reggae vaut autant pour sa production nickel que pour la voix de la sirène irlandaise.
Ah cette voix… « Jah Nuh Dead », qui ouvre les hostilités, est un a capella très démonstratif qui ne peut laisser personne de marbre. Mais un arrêt sur image s’impose.
Sur Sinéad O’Connor surtout : c’est The Edge qui la découvre le premier, lui proposant de bosser avec lui sur la bande sonore du film The Captive. Après, de son premier single « Mandinka » (vu et revu à l’époque de « Nothing compares 2 U », où MTV était bien obligée de racler les fonds de tiroir pour leurs 3 from 1…) à la prétresse qui sort cet album de reggae, il s’en est passé des choses. Ce beau visage (surtout ses yeux) au crâne rasé, si bien capté dans le clip de « Nothing compares 2 u » écrit par Prince, contrastera avec son look atypique et si peu féminin, qui connaîtra d’ailleurs quelques émules. Son attitude rejoint pourtant très vite son look : elle conspue U2, vante l’IRA, devient l’ennemi public numéro 1 d’un certain Frankie Sinatra, déchire la photo du pape en direct à la télé américaine… Elle se fait pas mal oublier ensuite, s’éloignant de la scène rock pour s’intéresser au jazz, au music hall, et surtout à la musique celtique (il fallait s’acrocher pour écouter les chansons en gaélique de Sean-Nos Nua sorti en 2002), rentrant par ailleurs dans un mutisme médiatique rancunier. Par ailleurs, elle collaborera au dernier Massive Attack et aussi avec Asian Dub Foundation, avec qui elle partage les opinions anti-guerre et anti-Bush. « Baptisée » Mère Bernadette Marie O’Connor en 99, elle est aussi prêtre(sse), et dit à qui veut l’entendre depuis la St Glin glin que sa religion est le rastafarisme.
Musicalement, même si on sait que l’irlandaise, dans ses collaborations avec Jah Wobble (bassiste de P.I.L.) par exemple, avait déjà tâté du reggae, et qu’elle en parlait depuis au moins quinze ans, la voilà qui débarque – enfin – avec un double CD made in Jamaica. Enfin, sachant l’importance qu’accordent Sinéad et le reggae à la religion, les deux univers ne pouvaient pourtant que s’accorder. En atteste d’ailleurs la pochette, arborant la photo de la petite Sinéad lors de sa première communion. Le disque est une parenthèse cependant, car elle en prépare un de prières pour 2007. Enfin, parenthèse, c’est vite dit puisque les paroles des morceaux reggae qu’elle a choisis sont très axés également – mais ne le sont-ils pas tous? Il s’agit bel et bien de Rastafarisme, en effet. Plutôt que de le dire, autant le chanter.
Pour se faire, force est de constater qu’elle a su s’entourer et qu’elle a mis toutes les chances de son côté, clapant le bec aux mauvaises langues qui y auraient vu un petit caprice – pas le premier – de la belle. Sly Dunbar & Robbie Shakespeare! Excusez du peu : c’est LA section rythmique incontournable du reggae. Le batteur et le bassiste ont collaboré avec tous les grands, de Peter Tosh à Burning Spear, de Lee Scratch Perry à Black Uhuru, en passant par Gainsbarre, Grace Jones, les Rolling Stones ou Bob Dylan. Depuis les années 90, disons qu’ils ont la réputation de surtout s’intéresser à leur compte en banque, et de ne pas être vraiment dignes de confiance pour les petites bourses (ils en ont laissé plus d’un dans la dèche en plein enregistrement studio au gré des propositions plus sonnantes et trébuchantes…). A l’époque où votre serviteur ne jurait que par le reggae et le dub, il s’est énormément intéressé, entre autres, à ce duo légendaire. Conclusion alors : les disques sortis dans les années 90 sous leur appellation propre étaient franchement nuls (à part Strip to the Bone avec Howie B), à classer à côté de la « Lambada » (notamment La Trenggae)… Enfin, le fric n’a pas d’odeur dit-on. Leurs collaborations par contre, pas grand chose à redire. Mais cela pour dire que le sentiment mitigé qui pourrait prédominer à l’évocation de ces deux noms est très vite dissipé ici par la qualité de la production.
Enfin, la galette a été enregistrée à Kingston, capitale du reggae. En d’autres mots, tout est là pour que ça se passe pour le mieux. Et c’est ce qui arrive. Cet album apporte de la fraîcheur à un style qui n’arrive plus vraiment à se renouveler en tant que tel, hésitant entre les épices africaines, latines ou Hip Hop et une dub qui se perd en échos lourdingues.
On a droit ici à du roots, à du reggae comme on l’aime, avec les percussions, un rythme lancinant et hypnotique, des cuivres enjoués, des choeurs… Des titres épiques du genre sont repris avec talent : du « Marcus Garvey » des Burning Spear à « Curly locks » de Lee Perry, de « Downpressor man » de Peter Tosh à « War » du grand Bob. On est en tout cas bien loin de ce que nous a proposé Madness récemment…La grande innovation vient de ce que toutes ces versions sont chantées par une voix feminine qui se marie à la perfection à toutes ses orchestrations soignées, se mettant mutuellement en valeur.
Le deuxième CD, comme il est de tradition, propose de très bonnes versions dub des mêmes titres. On boit du petit lait.
Du très grand reggae bénéficiant de la meilleure rythmique chanté par une des plus grandes voix de notre époque : ça ne se refuse pas!
Le site de Sinead O’Connor
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