Musicien hors pair, Chris Brokaw nous gratifie ici de son premier album de chansons, collection de folk songs matinée de slow core.
Les férus de musique Slow-core, ceux qui épluchent les crédits de pochette en établissant des arbres généalogiques, connaissent bien la branche rock de Chris Brokaw, plutôt conséquente depuis 15 ans : batteur/guitariste de Codéine sur le Frigid Stars LP, pilier rythmique des frères Kadane avec The New Year, sans oublier ses talents de guitariste pour Come… Pullman, Consonant, Steve Wynn, Evan Dando sont aussi quelques noms familiers qui nous reviennent lorsqu’on évoque sa très prisée carrière de multi instrumentiste de session, assurément l’une des plus respectées du rock alternatif américain.
Après avoir été un homme de main précieux durant les années 90, M. Brokaw – 41 ans cette année – s’est lancé de ses propres ailes en 2001. Plutôt timidement d’ailleurs, ses premiers pas en solo étant constitués jusqu’à présent uniquement de disques instrumentaux et BO de films. Seul le Confident EP, en 2003, nous avait donné un petit aperçu de ses talents de songwriter, bien que les ¾ des titres qui figuraient dessus était des reprises.
Comme si un dernier obstacle l’empêchait de faire le grand pas, Incredible Love ne cède pas totalement à l’exercice du chanteur/songwriter et livre encore un morceau instrumental, voire quelques titres semi instrumentaux. En effet, certaines chansons donnent l’impression d’être des instrumentaux encombrés d’une ligne de chant, sans attache solide. C’est le cas du folk virtuose de “Whose Blood”” et “100 Faces” où les thèmes n’imposaient pas vraiment de partie de chant.
Disque de guitares superbement produit par le vétéran Paul Q Kolderie (Pixies, Radiohead…), cet “amour incroyable” (tiré des paroles d’une chanson de Suicide, reprise sur l’album) donne la part belle au jeu guitaristique de Brokaw, constituant à lui seul un intérêt à l’achat de ce disque. Habile touche à tout, il s’accapare toutes les pistes d’enregistrement sur cinq titres de l’album. Sur le reste, son imposant carnet d’adresse se charge de convier quelques fines lames : Matt Kadane (Bedhead), Jeff Goddard (Karate), Dave Curry (Empty House Collective) et Kevin Coultas (Rodan).
Incredible Love est ainsi composé de véritables chansons, baigné dans un registre acoustique qui bifurquerait progressivement vers l’électricité. Brokaw s’y révèle un songwriter agréable, dans la lignée d’un Bob Mould en solo. Lorsque le volume prend le pas sur cette alternance de calme et d’explosion sonique, le genre lorgne vers le Sebadoh de la dernière période. Son chant est certes limité, mais à l’instar d’un Beadhead ou Pedro The Lion, le style s’y prête. On y décèle quelques jolies figures intimistes : “Xs for Eyes”, une délicatesse Nick Drakienne dominée par un ensemble de cordes et les arrangements foisonnants de “The Information Age” se détachent du lot. L’unique instrumental revendiqué, “Gringa”, est également une superbe percée folk vers les climats d’après rock. Arrivé à la 8e plage, les lampes de l’ampli sont suffisamment chauffées pour laisser place à “Cranberries”, petit bijou d’architecture électrique à l’assise clairement instrumentale – bien que Brokaw chante dessus le temps d’une minute. Chassez le naturel… Etrangement, le brulôt le plus rock et sans complexe est le bonus de l’album, “My Idea”, un titre que ne renierait pas le maître guitariste d’Hüsker Dü.
Sans avoir l’intensité des ses prestigieux faits d’armes, Incredible Love s’avère un disque abouti, sans véritable déception, ni surprise. 11 titres (plus une chanson bonus) qui se laissent écouter sans heurts, les jambes croisées, pieds posés sur la table basse du salon.
-Le site officiel de Chris Brokaw
-4 titres en écoute ici
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