Une pop élégante et ambitieuse qui nous rappelle au bon souvenir des Czars et des ordinateurs OK de Radiohead. Du très bel ouvrage.


C’est décidé : la Pinkushion Team part s’exiler à Toronto. Les baluchons sont prêts, les Ipods remplis à bloc et les lettres d’adieu sont posées sur la commode (ce n’est qu’un au revoir chère dulcinée !). A nous les grands espaces canadiens… et ses groupes fantastiques ! Fidèles lecteurs, sachez d’emblée que le site sera mis sous perfusion durant deux mois, le temps de déménager les locaux de la rédaction et que la paperasse administrative soit réglée. Mais pourquoi un départ si brusque vous demandez-vous ? Et bien Junetile, c’est un peu la goutte d’érable qui fait déborder le pot : une bien belle surprise.

Avis aux retardataires, la scène musicale de Toronto est un véritable vivier de talents. Les merveilleux nouveaux opus d’Howie Beck et Broken Social Scene sont là pour en attester (une petite pensée également pour le folker Hayden et le symphonistes délurés de P :ano). Et puis voilà que Junetile débarque, inconnu au bataillon. Après vérification, nos oreilles amnésiques ont déjà croisé leurs ondes l’an dernier sur l’album tribute rendu à Wire, A Houseguest’s Wish is chez Words On Music. Le meilleur morceau du lot.

Mais l’histoire de Junetile remonte déjà à 10 ans et a connu de nombreux remous – changements de personnel, silences – mais la passion a perduré malgré tout. Actuellement trio, Junetile se fait le chantre d’une musique pop qui a attendu d’être rouge, assez mûre pour être à la hauteur de ses ambitions. Jonathan Relph, co-fondateur et coeur de ce projet, est un maniaque obsessionnel du son, le genre de musicien qui doit avoir souscrit une assurance rien que pour sa banque de sons stockés sur son disque dur. Les premiers EP du groupe furent d’ailleurs enregistrés entièrement sur ordinateur. La réalisation de leur premier album en 2002 constitua donc une petite révolution, car pour la première fois le groupe se réunissait en studio pour composer « live », comme au bon vieux temps du rock n’roll.

Work est en vérité une compilation du meilleur de ces cinq dernières années (incluant Eps, singles et leur premier album). Une collection de pop songs au ralenti, élégantes et sans faute de goût, comme ont si bien su en écrire les Czars. Pour prétendre à une telle excellence, il faut une voix vertigineuse, Jonatan Selph en l’occurence – qui n’hésite pas à se pousser dans ses retranchements, tout en gardant une fragilité qui lui permet de ne pas sombrer dans le grotesque. Ces chansons voguent souvent à contre-sens, vers des paysages que l’on rêve gigantesques mais cachés par une brume profonde (“Move Faraway”). Une facilité d’évocation que l’on retrouve également chez les ingénieux Tex La Homa.

Le son est foisonnant, dans la lignée d’un Radiohead de l’ère pré Kid A (le chaviré “Stay Put”, avec une ligne mélodique de guitare digne d’un Johnny Greenwood). Ces canadiens usent sans complexes de bandes passées à l’envers, claviers atmosphériques et autres effets de manche à la limite du Shoegazer. Si l’artillerie d’arrangements et textures est chargée, jamais elle ne vire au lourdingue ou à la démonstration stérile, parvenant au contraire à garder une humilité efficace au service de l’émotion.

“Work” qui donne son titre à l’album, possède l’étincelle de la pop song parfaite, une jolie percée mélancolique, un chant qui virevolte et une mélodie en apesanteur. Hommage national, “Paris” pourrait sans problème être glissé au milieu d’Automatic For People, on n’y verrait que du feu (ses relents de piano délicieux à la “Nightswimming”).

Décidement, Toronto n’a pas fini de nous livrer ses secrets.

-Le site de Junetile