Après une longue absence, Richard Ashcroft revient à ses vieux amours : les ballades acoustiques à cordes. Quelques réussites, malgré un ensemble paresseux.


La britpop est un genre qu’on a du mal à regretter. Sombrant dans l’auto-caricature, elle a connu un lent déclin à la fin des années 1990, progressivement éclipsée par le renouveau de l’indie rock US. Aujourd’hui, de la distance ironique de Franz Ferdinand à la fraîcheur naïve des Arctic Monkeys, on ne trouve plus rien qui ressemble à l’emphase nombriliste de la «Â Cool Britannia ». A écouter les dernières livraisons d’Oasis ou les carrières solos des divers «Â nouveaux Beatles » jadis portés aux nues par le NME, on ne s’en plaindra pas. Seul Damon Albarn a eu l’intelligence d’évoluer vers d’autres rivages musicaux, et ce sont plutôt ceux qui ont su s’arrêter à temps qui sont restés dans les mémoires…

En ce qui concerne The Verve et Richard Ashcroft, le constat est plus nuancé. D’abord parce que le groupe de Wigan fut à la fois la dernière étoile britpop – avec l’album best-seller Urban Hymns de 1997 – et une transition vers une veine du rock anglais moins grossièrement passéiste et grandiloquente. Les ballades à cordes qui ont fait le succès de cet album annoncent la pop apaisée et humble qui a fait le triomphe de Coldplay quelques années plus tard. Certes, Ashcroft reste une grande gueule du Nord dans la grande tradition anglaise (ce qui fait aussi son charme). Mais quelqu’un qui a réussi à incarner l’esprit rock n’roll aux yeux de toute une génération en chantant «Â the drugs don’t work, they just make you worse » ne peut pas entièrement correspondre aux clichés.

Le dernier album de Richard Ashcroft, Keys to the World, est à l’image de cette ambivalence. On en était resté au Human Condition de 2002, correct mais dans l’ensemble peu convaincant. Cette fois, pour le plus grand bonheur de l’auditeur, Ashcroft a eu la bonne idée de revenir à des ballades acoustiques avec orchestre, comme au bon vieux temps de  Urban Hymns. L’efficace “Break the Night with Colour” rappelle l’époque où les foules reprenaient ses refrains en choeur. “Words just get in the way », la meilleure chanson du disque, parvient à renouer avec le meilleur de The Verve. Il faut dire qu’Ashcroft est un chanteur d’un sacré calibre, dont la voix, sorte d’étrange croisement entre Shaun Ryder et Scott Walker, peut faire des merveilles.

Keys to the World se présente donc avant tout comme un album vocal. Paradoxalement, c’est sans doute là qu’Ashcroft pêche par excès. Ainsi, il ne résiste pas à la tentation, pas franchement indispensable, de l’exercice rock n’roll ( “Why not Nothing ?” ) et soul (“Music in Power”), histoire de montrer qu’il peut être à la fois David Johansen et Marvin Gaye. Il se sort d’ailleurs plutôt honorablement de ces numéros sans grande originalité. En revanche, le pire n’est pas très loin avec les samples qui écorchent les oreilles de “Keys to the World”. Ce morceau-titre tente sans succès de recycler les ficelles de “Lucky Man”. Déjà, en son temps, The Verve était passé maître dans l’art de meubler ses albums en ressortant les grosses guitares soporifiques des frères Gallagher… Avec le paresseux “Cry Til the Morning”, Ashcroft croit sans doute pouvoir rééditer le coup de maître de “Bitter Sweet Symphony”. Pourtant, il ne suffit pas de remplacer un quasi-plagiat des Rolling Stones (“The Last Time”) par un nouvel «Â emprunt », à Bob Dylan cette fois (“All Along the Watchtower”), pour que la sauce prenne à nouveau !

On a donc envie de demander à Ashcroft qu’il s’en tienne à ce qu’il fait le mieux. Ou en tout cas, qu’il soit plus fidèle à son propre refrain «Â I’m singing simple songs » – c’est l’un des bons moments du disque, avec “Sweet Brother Malcom” et les autres ballades. Même dans ce qu’il a de meilleur, l’ensemble de l’album appelle le constat suivant : avoir une vraie voix produit des étincelles, mais joue aussi de mauvais tours. Ashcroft multiplie les gimmicks vocaux, de façon parfois un peu grotesque car n’est pas Jim Morrison qui veut. Springsteenien dans ses meilleurs moments (“World Keeps Turning”) il lui arrive aussi de se rapprocher dangereusement des clichés du rock FM… Comme toutes les autres ex-idoles britpop, Ashcroft succombe trop facilement à l’emphase. Ainsi, “Why do Lovers ?” rappelle au mieux les effusions lyriques de Suede, au pire les mélopées des moins reluisants has-been des nineties (Marion, Gene…).

Ne soyons pas trop sévères, pourtant, car Keys to the World contient bel et bien deux ou trois jolies ballades qui valent le détour. A vrai dire, on n’en attendait pas beaucoup plus.

-Le site de Richard Ashcroft