Sens de l’humour cloué au pilori, ce combo d’Austin entretient les explosions sensorielles d’un Slowdive et la rigueur d’Interpol. L’un des albums de rock ténébreux les plus renversant qu’on ait entendu depuis… 5 ans.
Sur les terres brumeuses du Royaume-Uni, les formations néo-post-punk se bousculent, multiplient les courbettes en convoitant la couronne déchue de « la division de la joie ». Mais le combat est vain : les albums, trop éphémères, s’entassent près du crématoire, seuls quelques singles perdurent. De l’autre côté de l’Atlantique, le premier album d’Interpol avait mis le feu aux poudres voilà cinq ans, rétablissant des barèmes cold wave pour un rock alors sous perfusion – et appelé en renfort des Strokes, nettement plus garage. Depuis, la patrie de l’oncle Sam observe tout ce remue-ménage et prépare minutieusement sa riposte à l’offensive britannique, cette W.M.D* se nomme : I Love You But I’ve Chosen Darkness. Et cette fois, c’est du sérieux : expédié The Rakes, pulvérisé Bloc Party, atomisé Editors, laminé Departure. Impuissante, la garde royale bat en retraite tandis qu’I Love You But I’ve Chosen Darkness plante son drapeau : plus aventureux, plus triste, plus spectaculaire… ce premier opus en devient presque effrayant de maestria. Mais d’où nous viennent donc ces cavaliers noirs ? d’Austin pardi !
A Austin (Texas), le créneau rock est archi saturé de groupes tous aussi impressionnants les uns que les autres : si vous envisagez de monter un combo post-rock, les Explosions in the Sky ont déjà miné le terrain. En matière alt/country, il faudra passer derrière Okkervil River et Smog (un tout nouveau résident, le bougre). Pour l’indie rock survitaminé, Britt Daniels (Spoon) squatte depuis 10 ans la première place du podium. Sans oublier les tremblements de terre laissés jadis par Josh Pearson (Lift To Experience) et And You Will Know Us By The Trail of Dead… Par élimination donc, ILYBICD a choisi d’exploiter la filière post punk.
Le quintet constitué de musiciens trentenaires (et donc expérimentés) avait déjà publié un EP en 2003, nettement plus lumineux. A l’écoute de Fear Is on Our Side, c’est à croire qu’ils ont perdu les ampoules entre-temps. La production lugubre et majestueuse du sorcier Paul Barker (Ministry) a certainement eu une ascendance sur ce groupe.
Pochette au goût nettement affiché cold wave, disque nocturne atmosphérique entrecoupé d’éclairs de guitares sidérurgiques, ce coup de maître se révèle après plusieurs écoutes moins « Factory » qu’il ne le suggère. Certes, la rythmique au garde à vous de “Ghosts” ne laisse aucun doute sur la marchandise : basse despote, claviers oppressants suivis d’un séisme de riffs suraigus et pernicieux. Un redoutable chart d’assaut. Néanmoins… ILYBICD se plait à quelques subtiles dérivations. Déjà, le chant du meneur Christian Goyer (Ex Windsor for The Derby) se démarque par sa mélancolie caressante, assez proche de la technicité d’un Ben Gibbard. D’ailleurs, “Lights” ou encore “Last Ride Together”, manient les équations pop avec autant de dextérité que Death Cab For Cutie.
Second point, les atmosphères développées ici sont nettement plus sophistiquées que celles bridées de la lugubre branche cold wave. Sur “According To Plan” – assez trouble de mimétisme avec les géniaux The Sound, scandaleusement oubliés -, leur aptitude à allier des mélodies désincarnées à des séquences synthétiques léchées est pour le moins détonante. Avec pas moins de trois claviéristes/guitaristes en son sein, ILYBICD défriche des thèmes synthétiques grésillants, entre le shoegazing atmosphérique d’un Slowdive (“Long Walk”) et bien sûr le prisme maudit de Joy Division (les instrumentaux “Howl” et “-”).
Pièce maîtresse du puzzle, les E-bows de l’épique “Today”/“We Choose Faces”, donnent le vertige avant de culminer au bout de 8 minutes intenses, la perfection n’est pas loin : Si Talk Talk s’était essayé à une relecture de “Where The Streets Have No Name” de la bande à Bono, nul doute que le résultat s’en rapprocherait fortement.
Enfin, l’apothéose “If It Was Me” est l’autre plat de résistance vengeur (qui se mange donc froid). Un dédale oppressant d’où surgit une rythmique plombée – quasi heavy – cataclysmique, le sol se dérobe sous nos pieds, on peut entrapercevoir l’enfer, décidément bien profond.
Sur ce, nous retournons dans l’obscurité savourer ce d’ores et déjà très grand album de 2006.
*Weapon Of Mass Destruction
-Le site officiel d’I Love You But I’ve Chosen Darkness
-Le site de Secretly Canadian
-On écoute « According To Plan »
-Un peu plus de son sur myspace