Doté d’une qualité exponentielle à développer des hachures mélodiques, contretemps et autres ponts tarabiscotés, ce trio anglais compose de la pop moderne. Si si ! Une excellente surprise, au sens propre comme au figuré.
Quelle étrange musique ! On mettra au défi n’importe quel blasé de ne pas être traversé par cette pensée à l’écoute de ce sympathique O.P.N.I (objet pop non identifié). Il y a bien des mois qu’un disque pop ne nous a pas autant bousculé les sens, fait perdre le nord. Du nord, c’est pourtant bien de là qu’il s’agit puisque ce trio (composé d’Andrew Moore et de deux frères, Peter et David Brewis) est originaire de Sunderland, ville balnéaire britannique située sur la côte « North Eastern ». Le coin peut sembler reculé, et pourtant la région connaît actuellement une intense activité rock, animée par des groupes du cru un peu plus singuliers que ceux des mégalopoles branchées brocardés chaque semaine.
Notre trio peu orthodoxe a vraisemblablement passé son enfance sur les plages à faire des châteaux de sable en compagnie des futurs Futureheads et membres de Maximo Park (les trois groupes ont des musiciens en commun). Nul doute que leurs constructions de sable devaient intriguer les promeneurs avec leurs architectures totalement déroutantes, défiant les lois de la relativité. Avec le temps, les trois formations ont gardé ce sens du « tarabiscoté », mais contrairement à leurs deux camarades de voisinage, l’amour de la pop chez Field Music a pris le pas sur l’action rock.
Le mot cérébral revient régulièrement sur papier pour évoquer Field Music – ce qui est à la fois vrai et faux, tant leurs compositions sont remplies de vie. Les déconstructions harmoniques dignes d’un Fugazi ou Wire sont ici lavées de toute distorsion et mises au service d’une pop érudite. Nos amis ne sont pas des enfants de choeur pour autant, les bases instrumentales (Choeurs souverains, piano prédominants et guitares claires) subissent les pires outrages entre leurs mains. Les schémas rituels de composition y sont torturés jusqu’à ne plus avoir grand chose à voir avec les originaux.
Difficile parfois de suivre un tel foisonnement d’idées, on y repère bien quelques emprunts flagrants, mais tout se déroule tellement vite qu’on a rapidement perdu de vue notre cible au beau milieu de ce labyrinthe mélodieux. Seul conducteur perceptible, le chant : en guise de ceinture de sécurité, une mélodie mémorable jaillit toujours au milieu de ces cassures et autres figures casse-coup. Certaines progressions sont particulièrement cohérentes et fascinantes, comme l’énigmatique “Got to Get the Nerve” et les cordes ombragées de “Luck is a Fine Thing” où l’on décèle une touche baroque prisée autrefois chez les immenses Left Banke.
Si l’on devait tout de même se risquer à trouver une descendance à ce contenu extrêmement touffu, disons qu’XTC serait un candidat valable – voire Kate Bush pour les harmonies vocales. Dans les comparaisons plus casse-gueule on se risquera à parler d’un Built to Spill à la sauce Mods, ou bien des Futureheads tentant de recycler Song Cycle de Van Dyke Parks.
Riche de références mais sans pour autant être trop rattaché à une période précise, Field Music peut se vanter de sonner moderne, ce qui tient presque du miracle par les temps qui courent. On en était même à se demander si tel miracle était encore possible. Il faut vraiment écouter Field Music pour s’en convaincre : ils sont capables de sonner successivement R’n’b, Pop, classique, jazz et dissonant, et cela dans le même morceau ! On enregistre l’irrésistible “Tell Me Keep Me” en tant que pièce à conviction précieuse.
Avec leurs théorèmes pop alambiqués, Field Music nous prend de court, au bon sens du terme.
-Le site de Memphis Industries