Le label Canadien estampillé « post-rock » nous souffle le froid (Glissandro 70) et le chaud (Black Ox Orkestar).
Le label Constellation est devenu un gage sinon de qualité, du moins de prise de risques, à citer en exemple à toutes les majors qui virent les artistes ne couvrant plus le cahier de charges. Spécialisé dans la musique dirons-nous hybride, le label canadien doit principalement sa notoriété à Godpeed you black emperor !. Ensuite, des formations telles que Re :, Fly Pan Am, A silver Mt. Zion ou Do make say think ont nourri le catalogue et leur réputation, les confinant dans un genre que l’on ne saurait définir que par ce mot fourre-tout et ne voulant pas dire grand-chose : l’expérimental. Car que sous-entend finalement ce mot, si ce n’est anti-commercial et anti-formaté ? Passer un morceau à première vue sans queue ni tête, frisant les 10 minutes montre en main, et se produisant sur scène à quatorze n’est pas ce qu’un producteur appellerait faire dans la facilité, n’est-ce pas ? Notons également le soin apporté au contenant cartonné, faisant plaisir à tous les nostalgiques qui chérissent le 33 tours.
– Glissandro 70, tout d’abord. C’est une commande (« Something », réédité pour l’occasion) du weblog audio Muted tones qui a mis le feu aux poudres. Derrière ce nom peu évocateur se cache en fait un duo, qui, à la manière de The Postal Service, a réalisé cet album à force d’envois et renvois mutuels (merci internet !). Il y a peu, le projet Pattonien Kaada mettait en exergue la même pratique moderne (entre la Scandinavie et la Californie), permettant ce qui était quasiment impossible il y a encore 15 ans. .. Sandro Perri (Polmo Polpo, Continious Dick) et Craig Dunsmuir (Guitarkestra) exploitent jusqu’à plus soif la technique dite de la boucle, se permettant même de boucler (sic) et sampler les Talking Heads (« Pulled up » sur « End west ») et Model 500 (« No Ufo’s » sur « Portugal rua rua »). Ceci dit, ne vous attendez pas pour autant à de la Franz Ferdinand mania, loin de là ! Que du contraire : ça donne des titres longs, sortes de voyages planants et répétitifs (redondants?) garantissant à l’auditeur détente et farniente (voire peut-être aussi ennui). On peut légitimement se demander quelle est la raison d’être de tels titres, éphémères par excellence, bien qu’intemporels, se rapprochant davantage des « tubes » populaires rentrés par une oreille et sortis aussitôt par l’autre. L’artwork de la pochette, et le modus operandi en général renvoient fatalement à un univers bien particulier : celui du label, qui – on espère – ne finira pas par tomber dans une piètre caricature de lui-même, abritant tout un chacun qui fait n’importe quoi… rappelez-vous Fly Pan Am…
– Black Ox Orkestar efface heureusement cette crainte sans peine. On est vraiment aux antipodes du disque précédemment cité, autant dans l’ambition première que dans le résultat final. Répondant en quelque sorte à la recherche américaine de ses racines post-Salem, Black Ox Orkestar se propose de réécrire des standards du folk yiddish (ça ne s’invente pas) avec un entrain et un sens de l’innovation dignes de ce cher Sufjan Stevens ou de Liz Janes. Les nombreuses pièces rapportées des cultures est-européennes (mais pas seulement, aussi asiatiques ou arabes) amènent une magie que notre manque de culture en la matière (qui a inventé ce si réducteur « world » ?) ne saurait rattacher qu’aux documentaires historiques sur les musiques régionales balkaniques ou slaves.
La qualité des performances du quatuor est telle que l’on est époustouflé devant tant d’authenticité. C’est à Radwan Moumneh que l’on doit ce son admirable, capté au studio Hotel2Tango à Montréal. On admire la manière de présenter sous un nouveau jour, dans un nouvel élan, un répertoire poussiéreux de musique purement traditionnelle à un auditoire profane. Nisht Azoy(qui veut dire Pas comme ceci) peut être comparé dans sa forme (bien que comparaison n’est pas raison) à Dead Can Dance, surtout dans ce don de mêler ancien et nouveau mondes. A ce propos, la même hésitation qu’on pouvait avoir à l’écoute des irlandais s’empare de l’auditeur, face à des titres comme « Violin Duet » : est-ce du folklore ou de la musique classique Moyen-Ageuse ? Postulons que les deux définitions soient pertinentes. Sans oublier – bien sûr, mais où avais-je la tête ? – le post-rock – puisque c’est ainsi que se présente BOO.
Formé par des membres [[Thierry Amar à la contrebasse, Scott Gilmore Levine à la mandoline, cymbalom, guitare, saz, violon, percussions et chant, Gabe Levine à la clarinette et à la guitare et Jessica Mossau au violon]] de formations hébergées par Constellation (Godspeed, Sackville et A Silver Mt. Zion), Black Ox Orkestar en est déjà à son deuxième album (Ver Tanzt ? est sorti en 2004). Que grand bien leur fasse, la sempiternelle clarinette (rappelez-vous du film L’homme est une femme comme les autres) laisse ici une large place aux cuivres en général (« Ratsekr Grec ») évoquant tout cet univers gypsy et bratsch de l’ex-bloc de l’est. Aussi, fidèle à la tradition telle qu’on l’imagine, on a droit à des crescendos en bonne et due forme (« Tsvey Tabelakh »), à des violons larmoyants, à un violoncelle bien mélancolique, à des tambours Barry Lyndoniens… La liste est longue, le résultat est le même : On prend son pied quoi !