Attendu comme le messie de la pop psychédélique, The Flaming Lips débarque sur terre avec un nouvel album flamboyant et audacieux, toujours la tête dans les étoiles mais les poings fermés.


The Flaming Lips fête son douzième album et pourtant il n’a pas pris une ride. Pire même, il fait s’arracher les cheveux à tous les jeunots qui l’idolâtrent et cherchent désespérément à lui emboîter le pas. Né deux fois, en 1985 avec un album éponyme de punk gothique, puis en 1999 avec le salué et inépuisable The Soft Bulletin, le groupe de Wayne Coyne a embrassé trois décennies en mariant son psychédélisme à toutes les sauces (punk, noise, rock progessif, dream pop, électro), sans perdre pieds (mais parfois la tête). Chaque nouveau disque du groupe est conçu comme un projet artistique à part entière, une somme d’idées directrices mises en sons (voire en images), mues par le souci d’une musique affective et intelligente, mais allégée au final de sa prothèse conceptuelle (presque tous les albums du groupe répondent en effet à un concept inaugural appréhendé toutefois sans excès de cérébralité).

Parfois plus proche en cela de l’art contemporain que des sphères rock les plus usitées, l’univers de The Flaming Lips exalte une dimension utopique de la musique. Pure jouissance de l’instant créatif où le passé (celui ayant trait à l’enfance surtout) et les mythes se rappellent à la mémoire, et où le monde – ce théâtre des forces obscures – se meut de manière chimérique et anarchique. Les délires insolites et espiègles des Flaming Lips (qui prennent toute leur démesure sur scène), leur naïveté affichée, le mauvais goût et l’emphase revendiqués avec lesquels ils se jouent de la culture de masse ne sauraient masquer pour autant un envers plus chaotique et sibyllin. Sous le ridicule magnifié et savamment cultivé, se découvre la tristesse des clowns.

At War with the Mystics ne déroge pas à cette fondamentale ambivalence des amuseurs publics. Le titre annonce même cette fois-ci ouvertement la couleur : les Flaming Lips font la guerre aux fanatiques religieux. Avec leurs armes : des chansons libertaires qui n’ont de cesse d’effriter les dogmes. “The Yeah Yeah Yeah Song”, premier morceau de l’album, est ainsi une envolée protestataire qui vise le président des Etats-Unis et interroge par l’absurde la notion de pouvoir. Si le propos n’évite pas l’écueil de la dénonciation simpliste (limite réactionnaire), la musique en revanche offre une réjouissante alternative : elle est une impérieuse convocation de sonorités insolites (handclaps, nappes de synthé, guitare spatiale, distorsion et filtres vocaux, bruits électroniques ludiques, batterie quasi militaire), qui conversent entre elles jusqu’au crescendo final, apothéose sonore couplée au refrain engagé. Le titre suivant, “Free Radicals” enfonce le clou de la diatribe anti-Bush. Une vision onirique de Coyne met face à face Devendra Banhart et un kamikaze intégriste : le chantre de la bonne parole underground dialogue, à ses risques et périls, avec un terroriste aliéné, dans le but de modifier ses desseins fatalistes. Là encore, cette rencontre loufoque convainc moins que la puissance dégagée par la combinaison d’une batterie sur-vitaminée et d’une guitare grésillante qui se promène dans l’espace comme un oiseau de mauvaise augure.

On l’aura compris, si l’engagement politique des Flaming Lips est louable, il peine tout de même à prendre consistance, Wayne Coyne ne parvenant pas à trouver un angle d’attaque pertinent et original en matière de contenu, se réfugiant plutôt derrière quelque artifice imaginaire oiseux. Plus intéressants sont donc les titres où Coyne aborde ses angoisses existentielles (avec la mort comme point de mire), comme sur “The Sound Of Failure”, “My Cosmic Autumn Rebellion” ou encoce “Mr Ambulance Driver”. Vision cosmique et métaphysique se marient de manière plus naturelle et ne se lisent qu’à la lumière d’une vérité poétique qui les outrepasse de tous côtés. En élargissant le champ de leur discours idéologique, les Flaming Lips ouvrent leur musique à la porosité des interprétations et s’impliquent dans autre chose que les truismes ou les opinions toutes faites. Ce quelque chose d’autre, de l’ordre d’une quête du bonheur perdu ou d’une lutte optimiste contre la nuit.

Malgré ce mouvement joyeux et métaphorique du langage, At War with the Mystics brille surtout par ses orientations musicales imprévisibles qui, plus encore que les textes de Coyne, relèvent d’un geste iconoclaste, littéralement merveilleux. Tous les titres débordent de sons, s’échappent d’une structure fixe, sont saturés de références. Jamais un album des Flaming Lips n’avait multiplié de la sorte les registres et les greffes improbables. Jusqu’au trop plein, à l’excès (le final interminable de “It Overtakes Me”). Peu importe, les idées fusent, s’accumulent, se contrarient, rendent même impossible pour l’auditeur leur assimilation immédiate. A tout moment un morceau peut passer du grotesque au grandiose (“Haven’t Got A Clure” et sa laborieuse entame rattrapée sur le tard par une batterie tonitruante) ou inversement (le Pink Floydien “Pompeii Am Götterdämmerung” gâché ponctuellement par une grandiloquente guitare électrique). La quête artistique des Flaming Lips, celle mythique du disque qui impliquerait tous les autres (surtout ceux des années 70 cette fois-ci), les autorise à faire flèche de tout bois (qu’il soit vert ou pourri) et à se réapproprier tous les styles, même ceux condamnés par le soi-disant bon goût. A l’étroitesse d’esprit des Mystics The Flaming Lips oppose un éclectisme débridé. At War with the Mystics n’est pas le meilleur disque du groupe, mais c’est assurément un des plus denses et fertiles.

– Le site de The Flaming Lips.

– A écouter : “My Cosmic Autumn Rebellion”.