Appendice discographique de Welcome to the Red Barn, ce mélange improvisé de covers et d’originaux n’a rien d’anecdotique et constitue même une épatante réussite.
Long Gone Desire est un beau cadeau. D’habitude, on est toujours un peu méfiant, voire dubitatif, lorsqu’un groupe racle ses fonds de tiroirs pour faire tenir sur un disque, tant bien que mal, des titres qui n’étaient pas voués à la postérité. Ici, une seule écoute suffit à balayer tous nos préjugés. La raison d’être du disque s’impose d’elle-même : le partage. Long Gone Desire est un disque collectif, au sens fort du terme, dont le moteur est l’échange d’idées, le dialogue des désirs, la perte des certitudes. L’expérience partagée du studio se nourrit du brassage des singularités, se vit comme un renouvellement précieux, comme la possible opportunité d’une nouvelle fraîcheur. Etre soi-même tout en (se) donnant aux autres : un programme stimulant, une philosophie de vie.
Enregistrée au Cocoon studio de Rennes, dans la foulée du très réussi premier album Welcome to the Red Barn (2003), la matière musicale de Long Gone Desire est le produit d’une alchimie créative entre les membres de Santa Cruz et ses amis musiciens, déjà rencontrés sur scène ou entendus sur disque à leurs côtés (Laetitia Sheriff, Thomas Belhom, Red). Les onze morceaux de l’album sont ainsi répartis en cinq originaux, issus du répertoire du groupe, trois reprises (de Bonnie Prince Billy, Bruce Springsteen, Carter Family) et trois titres empruntés à la discographie des invités évoqués ci-dessus. Une telle répartition pourrait laisser craindre un éparpillement confus des approches, or il n’en est rien, la trajectoire épousée par l’album tenant d’une rigoureuse unité ficelée dans le plaisir (de jouer, de s’exprimer, de varier, de s’enrichir mutuellement…). La musique qui se déverse tout au long de ce Long Gone Desire provient d’une même envie, d’un même goût pour les horizons dévoyés, ce qui suffit à donner une cohérence d’ensemble au projet (on saluera d’ailleurs ici le travail de mixage/homogénéisation d’Erik Ortuhon). Peu importe au fond la provenance musicale des participants à partir du moment où tous regardent dans la même direction.
L’univers ainsi pointé est certes balisé, Santa Cruz avance en terrain connu, mais avec la volonté d’y inscrire son empreinte ; aptitude louable qui, plus précisément, situe le groupe dans une mouvance post-americana, dont la figure tutélaire et indépassable serait Sparklehorse. Avec pour dessein de lui trouver un prolongement sonore contemporain et pertinent, de nouer des relations au-delà de l’âge et des distances géographiques, de bâtir des ponts sans avoir peur de les emprunter à son tour. Faire ses propres traces plutôt que suivre docilement celles des autres en somme. Et à ce jeu-là (se défaire pour mieux refaire), Santa Cruz excelle. Témoin par exemple la reprise admirable de “After I Made Love to You” de Bonnie Prince Billy (figurant sur l’album Ease Down the Road sorti en 2001). Tout y est affaire de (bonne) distance : alors que la guitare acoustique de Pierre-Vital Gérard reprend en sourdine celle d’Oldham, celles électriques de Goulven Hamel et Chris Georgelin créent d’emblée un décalage par rapport à la version originelle, accentué par le jeu tout en touchers subtils de Yves-André Befeuvre (percussions) et l’incursion retardée de la batterie de Tonio Marinescu (elle ouvre le morceau dans l’original). La reprise est appréhendée comme un cadre (Santa Cruz reste fidèle à la durée, au ton, à la structure/progression de la version d’Oldham, et au mélange des voix masculine/féminine) à l’intérieur duquel les perspectives ont changé. Les repères harmoniques trouvent d’étonnants prolongements et les arrangements entretiennent de secrets échos qui donnent au morceau un nouveau visage. Ni tout à fait le même, ni tout à fait autre.
La même approche transversale de défiguration est convoquée pour l’emblématique “Nebraska”. Repris « de mémoire » par l’ensemble des musiciens, le morceau de Springsteen est à la fois parfaitement reconnaissable et habité différemment. Fendre le passé pour y inscrire sa trace, y apposer sa présence, établir son identité. Comme une vieille maison de campagne où l’on aurait ouvert en grand les fenêtres pour faire rentrer la lumière, soufflé sur la poussière déposée par le temps et modifié la disposition des meubles pour se sentir chez soi, Santa Cruz peuple de sons la célèbre chanson/maison (cf. le jeu hanté de Red et celui magnifiquement contrasté de Thomas Belhom), en investit les moindres recoins sans en voler l’essence inéffable. On ne peut rêver plus belle villégiature pour nos oreilles.
– Le site de Santa Cruz.
– A écouter : “After I Made Love to You”.
– A lire : l’interview de Santa Cruz (21/07/2005).