En Belgique, le prologue de la saison des festivals passe désormais par les inévitables Nuits Botanique et leur cousin néerlandophone du Domino. Ce dernier ne cesse d’épater par son affiche pointue,d’une cohérence sans faille.
Un peu de géopolitique belge ne fera pas de tort aux lecteurs français. La Belgique est divisée en deux communautés : la communauté flamande et la communauté française. Pour simplifier, je passerai sous silence l’existence d’une communauté germanophone, entité négligeable comme dirait Benoit Poelvoorde. N’en déplaise à certains politiciens locaux qui aiment attiser les tensions, ces deux communautés vivent en paix, mais aiment se concurrencer. Cette compétition est vraiment visible quand il est question de matières culturelles. Chacune des communautés y va de son théâtre national, centre culturel, festival plus clinquant que l’autre. A ce petit jeu, il faut reconnaître que les néerlandophones sortent souvent gagnants.
Les Nuits Botanique et le festival Domino en sont la parfaite illustration. Si les deux festivals sont incontournables et de qualité, il faut reconnaître que la cohérence des affiches du Domino laisse admiratif si on la compare avec celles des Nuits Botanique dont la logique défie souvent tous les critères arithmétiques imaginables (bien que cette année, il y ait une amélioration évidente, mais nous y reviendrons dans quelques semaines, quand ce sera leur tour).
A l’instar des Nuits Botanique, le festival Domino s’étale sur un peu plus d’une semaine et s’organise en soirées à thème. Cette année, le festival propose notamment une soirée folk autour de Isobel Campell et Mi and L’Au, une autre dédiée au label Morr avec Ms. John Soda, Styroflam et B. Fleishman et enfin une à la gloire des revenants et papes du sampling que sont Coldcut.
Cette année, emploi du temps chargé oblige, je n’ai malheureusement pu assister qu’à la soirée d’ouverture et de clôture.
La soirée d’ouverture donne l’occasion au label Southern Lord de présenter ses nouveaux fleurons et nous permettre ainsi de saisir quelles seront les prochaines tendances de la scène métal avant-gardiste. Elle débute avec Wiget/Lensky, duo de violoncellistes belgo-suisse transformant leurs instruments à cordes en instruments crispants à coup de distorsions bien placées. Idéal comme bande-son pour un film satanique expérimental. Annoncé comme cousin éloigné des Melvins, les Japonais de Boris enchaînent avec un métal insipide. Si la lourdeur des guitares fait parfois mouche, le timbre du chanteur replace l’exercice au niveau d’un hard rock FM comme on le pratiquait dans les années 80. Les Américains de Sunn 0))) clôturent la soirée. Pour ceux qui ne connaissent pas la chose, on pourrait définir la musique de Sunn O))) comme du hardcore spatial. Les spécialistes définissent cela comme de la musique « Drone », terme qui trouve son origine dans la musique classique répétitive. Concrètement, pour comprendre de quoi on parle, il vous suffit d’imaginer un hypothétique 78 tours de death metal où s’entrechoqueraient riffs abrasifs et chants monstrueusement gutturaux joués en 33 tours. Le genre de disque qui, joué à l’envers, vous jetterait sûrement un mauvais sort. Pour l’occasion, vêtus de bures, les ecclésiastiques de Sunn O))) ont troqué leurs guitares pour des Moogs et nous invitent à participer à une expérience nommée une « Moog Ceremony ». Le Moog, vous savez, ce synthétiseur de collection caractérisé par ses sons ondulés, filtrés et amplifiés. Les riffs abrasifs font donc ici place à une symphonie d’ondes oppressantes diffusées en quadriphonie, histoire d’être sûr qu’on n’y échappe pas. Seuls un Gong shaolinien et le chanteur adoptant un timbre plus proche de celui de Jaz Coleman de Killing Joke donnent encore une dimension organique à la prestation. Lorsque le chanteur quitte la scène, la cérémonie prend soudainement une allure de mutinerie sonore. Tout n’est plus que collage et étirement de pulsations et d’infrabasses dissonantes. Toute la salle vibre. On a peur que nos corps volent en éclats face à un tel déluge sonore ou que les balcons s’effondrent sous le choc de ces pulsations sinusoïdales mal aiguisées. On ne sait plus trop pourquoi on est encore là, mais une chose est sûre: on sortira de là maudit.
La soirée de clôture fait la part belle au post-rock. La première partie de soirée prend les couleurs du pays de l’Oncle Sam. Grails et son post-rock 16 Horsepowerien ouvre le bal. Visiblement de mauvaise humeur, le groupe torpille son set et l’écourte même d’une vingtaine de minutes. Pas un mot d’explication. Le groupe avait pourtant fait plus que bonne figure au festival Rhaaa Lovely la semaine auparavant. Akron/Family suit et s’inscrit plus que jamais dans la lignée d’Animal Collective. Sur disques, les deux groupes se plaisent à décomposer le folk-rock américain au travers d’un prisme psychédélique avec une dextérité qui laisse pantois. Sur scène, ils donnent l’impression d’être une bande de joyeux fumistes accouchant de leurs morceaux accidentellement. Wolf Eyes termine cette parenthèse américaine avec un rock bruitiste vraiment pathétique. Des sales gamins hurlant dans un micro, triturant le son d’une basse monocorde et divers samplers bon marché. On pourrait reproduire pareille performance chez soi sans aucune difficulté.
Les deux têtes d’affiche de la soirée nous amènent outre-Manche. 65daysofstatic chauffe la salle en confirmant son statut de Linkin Park pour adultes et jeunes gens avides des rythmes binaires, piano synthétique et murs d’électricité informe. C’est aussi répétitif et débordant d’énergie qu’au Rhaaa Lovely. La star de la soirée est Mogwai qui vient défendre son dernier album. Il y a rien à redire : les Écossais sont au sommet de leur art. Ils sont toujours aussi peu communicatifs et arborent toujours ces mines de malheureux employés du rail anglais échappés d’un film de Ken Loach. Qu’importe, chez Mogwai, on est là pour le son et pas la forme. Là, Mogwai s’impose plus que jamais comme le seul digne héritier de My Bloody Valentine. Jouant principalement des morceaux issus de son premier et de ses deux derniers albums, la set list alterne moments plus retenus et orgies électriques imparables. Les moments forts sont le magnifique crescendo d' »Auto Rock », le tonitruant « Glasgow Mega Snake » qui fait figure d’hymne immédiat et l’interprétation monumentale de « Like Herod » qui, avec son savant mélange de tension contenue et de colère libérée, incarne au mieux le style Mogwai. Sur ce dernier, Stuart Braithwaite sort un peu de sa réserve et semble enfin décidé à assumer son statut de guitar hero, en prend quelques poses Thurston Mooriennes. Allez… Encore quelques années, il y aura enfin quelque chose à voir à un concert de Mogwai!
– Site du Festival Domino
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