Deux disques barrés peu exposés mais qui valent expressément le détour. Tamponnés du saut Secretly Canadian, voici d’un côté la pop théâtrale de Danielson et le folk uluberlu de The Impossibles Shapes.
Si les récentes révélations Antony & The Johnsons, Okkervil River ou encore I Love You But I’ve Chosen Darkness ont apporté au label Secretly Canadian une reconnaissance tardive en Europe, la fière structure basée à Bloomington (USA) garde pourtant depuis plus de 10 ans un flair indéniable pour dénicher parmi les plus beaux spécimens du rock indépendant. Il y a chez cette maison intègre – et sans oublier leur excroissance Jagjaguwar – une volonté d’ouverture, de s’affranchir des barrières du rock tout en conservant une étrange valeur de cohésion dans ses choix. Moins projetés que les artistes mentionnés plus haut, les derniers albums de Danielson et The Impossible Shapes témoignent de cette vigueur.
Malgré son allure d’étudiant littéraire de campus, Daniel Smith a quitté les amphithéâtres voilà plus de 10 ans pour s’activer depuis dans la frange indé de la pop psychédélique. Pionnier du label Secretely Canadian et chef de clan de la Danielson Famile, Mr Smith a oté le suffixe de son groupe sur ce nouvel opus : Ships, une étrange goélette qui a hissé la grand-voile direction les eaux musicales bariolées, entre le rock maniéré de Destroyer et les folk songs foraines.
Fascinante collection de chansons pop à la folie éventée, Ships donne le sentiment d’assister à la représentation d’un opéra (rock) joué façon « commedia dell’arte », sur une scène trop petite, avec des personnages au maquillage grotesque. Sur les planches, le casting est énorme et convie pas moins d’une vingtaine de personnages. Outre sa « famile », on note sur l’affiche parmi d’autres Sufjan Stevens, Steve Albini, Why ?, quelques membres de Deerhoof… Avec de tels talents poids lourds, on se demande si la scène ne va pas finir par s’effondrer. Il n’empèche que cette drôle de compagnie atteint des sommets d’exaltation digne d’Arcade Fire. Une protubérance d’instruments à vents (trompette, flute, trombone, clarinette… peut-on inclure les sifflements ?), de chorale et d’instruments jouets donnent à cette pop/folk un caractère profondément récréatif et attachant.
La voix suraiguë, limite étranglée de Daniel Smith provoquera certainement répulsion ou ferveur, c’est selon. Pour les convertis, dont nous faisons partie, cette singularité vocale accentue l’aspect non rationnel de ces mélodies scintillantes, avec en filigrane des paroles pointant une innocence trompée. On insistera également sur le livret, toujours très méticuleux chez Smith, évoquant un grimoire ou un vieil ouvrage de conte de fée. Intemporel.
Du fond de l’océan (« ship », bateau) à la forme (« Shape »), nous franchissons le pas. Moins expérimenté mais tout aussi dissipé, The Impossible Shape livre sur ce troisième opus son travail le plus foisonnant, le plus passionnant également. Depuis ses débuts en 2003, leurs « formes impossibles » aiment nous promener sans radar à travers des dédales de folk songs. Ce quatuor basé dans l’Indiana mené par le chanteur/compositeur Chris Barth a insufflé à sa boisson country folk quelques infusions de substances hallucinatoires. Fraichement réédité après une édition vynile ultra limitée, Tum est très court mais abonde (17 morceaux bien tassés sur 31 minutes). Certains titres ne dépassent pas la minute, parfois simplement marqués d’instrumentaux rustiques. Les cours de banjo et d’accordéon n’ont pas été très assidus, et pourtant lorsque leur folk est pénétré de ballades mystiques, le résultat a fière allure : “Tahuti, Splendid Scrib” une superbe folk song Pentanglienne ou encore le nocturne “Twisted Sol Epoch” qui ne dépareillerait pas sur un disque de Ben Chasny (Six Organs of Admittance). “Pixie Pride”, soit la prière du lutin, continue dans cette voie mystérieuse laissant apparaître derrière des reflets opalins le regard dément de Syd Barrett.
Mais ce disque ne peut pas se résumer à ce simple tour d’horizon boisé et se permet des libertés vers d’autres sphères psychédéliques : incursion elecro trip-folk (« Hathor »), un solo de guitare saturé dans l’esprit diabolique d’un King Crimson (Hornbeam) ou encore un morceau pop garage génial qu’on croirait piqué aux Kaleidoscope UK (“Willow Willow Yew”). Et encore une pochette magnifique, joli présage quant à la qualité de l’album. Un signe qui ne trompe jamais.
– Le site officiel de Danielson
– Des titres de Danielson en écoute sur myspace
– Le site de The Impossible Shapes
– A télécharger « Florida Silver Springs » et
« Our Love Lives »