Un écrivain musulman noir, issu d’une cité, sort le fleuron du slam et de l’urban poetry engagée. In french.


Musulman noir âgé de trente ans, Abd Al Malik, originaire du Congo, issu de la banlieue de Strasbourg, sort de l’ombre en 2004 avec un album de hip-hop saupoudré d’épices exotiques (Souad Massi apparaissait sur un titre de son album Le face à face des coeurs) et un livre (Qu’Allah bénisse la France). Gibraltar, son nouvel album, est un pamphlet d’une qualité d’écriture indéniable.

Dès le titre éponyme d’ouverture, on sent bien sur quel terrain – miné – va nous mener Abd Al Malik : celui des injustices, de la confrontation Nord-Sud, de l’immigration. « 12 septembre 2001 », sur la réalité post 9/11 vécue par les musulmans, est un témoignage poignant. Les titres défilent, et l’on comprend très vite que c’est autobiographique (il y parle de sa paternité ou de sa famille), qu’il s’agit bel et bien de vécu – avec force, coeur et tripes.

A l’image des très belles photos qui ornent le livret, le décor sonore, principalement jazz/soul, sert on ne peut mieux les textes trempés dans le vitriol, criant la vérité, mettant en relief les qualités littéraires de cette véritable poésie urbaine. Rayon sampling, toute sa discothèque y passe : jazz (Nina Simone), musique arabe (Fairuz, Ziad Rabani) et musique française (Jean Ferrat, Serge Lama, Didier Goret). La liste des crédits est impressionnante, et couvre grosso modo tous les métiers de la musique : violoncelle, flûte, contrebasse, banjo, claquettes, mélodica, percussions… On a même droit à un accordéon pour le tango argentin « Je regarderai pour toi les étoiles ». Sa femme Wallen et Keren Ann agrémentent également deux titres.

A côté de ça, les rythmes utilisés et les mélodies récurrentes sont assez proches de la manière de faire de The Streets, moins de celle de Saul Williams. C’est le cas par exemple de « Soldat de plomb » ou « Rentrer chez moi ». Le hip-hop est lui aussi présent bien sûr. Notamment sur « Saigne », même histoire vue par trois protagonistes et illustrant à merveille le fameux there’s always two sides of a story. Un coup d’oeil sur sa discothèque via son site comble certaines interrogations : Snoop Dogg, Wu Tang Clan, Mc Solar, IAM, NTM, NAS, Jay Z (qu’il cite dans « 12 septembre 2001 »), mais aussi Jacques Brel ou Miles Davis.

D’autres titres (« La gravité », « Mourir à trente ans », « Il se rêve debout », « L’alchimiste »), tout juste accompagnés par un piano (classique ou jazz), sont d’une puissance stupéfiante, d’une beauté à couper le souffle.

Les textes déversent la réalité des banlieues, histoire de remettre l’église – la mosquée, pardon – au milieu du village. En effet, Abd Al Malik dénonce la guerre des religions, mais aussi et surtout le détournement du Coran à des fins douteuses. Adepte du soufisme, il croit en la paix, l’amour et l’unité. C’est triste de se dire que ça prête à sourire. C’est surtout caractéristique de notre époque cynique. Abd Al Malik se propose de changer les mentalités. C’est pas gagné, mais c’est un début percutant. Absolument rien n’est à jeter sur ce disque, qui fait office de pièce à conviction de la France de 2006.

Sur son site, il cite une phrase d’un de ses écrivains préférés, Jonathan Franzen : « Les Baudelaire d’aujourd’hui sont les artistes de Hip-hop ».

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– Le site d’Abd Al Malik

PS : le livret propose de très belles photos. Le CD les textes des titres en CD Rom.