Ambitieux élaborateur de symphonies pop, Luke Steele accouche sur ce second opus d’une créature fantasmagorique et revisite les splendeurs de la pop seventies. Contagieux.


On a tendance à se perdre en cherchant à déceler les racines de Luke Steele, gentil mégalo derrière The Sleepy Jackson. Ses traits purs trahissent un sang inuit coulant dans ses veines – à moins qu’il ne soit tibétain – bien qu’il vive reclus aux antipodes de la planète, Perth, une petite cité balnéaire australienne exposée au soleil 365 jours par an. Il en va de même pour ses repères d’influence : indie pop se rêvant de fulgurances spectoriennes ? disco orchestrale ? acid country ? glam rock du XXIe siècle ? Il est bien difficile de remonter cette source d’inspiration, car The Sleepy Jackson trouble les sens en glissant du sirop de grenadine dans ses compositions.

Le seigneur Luke Steele reste terriblement attaché à son royaume perdu sur la côte ouest insulaire, devenu paradoxalement tant sa matrice créative que son talon d’Achille. Notre sédentaire avait ainsi annulé une tournée en Europe lors des épisodes précédents et sur ce nouvel album, il a préféré ne pas rejoindre Dave Fridmann (Mercury Rev, Sparklehorse) aux Etats-Unis, craignant que ses chansons soient sujettes au syndrome d’« éloignement ».

Révélé par son premier album Lovers en 2003 succédant à deux excellents Ep, dont le superbe single “Good Dancers”, The Sleepy Jackson y dévoilait un talent habile dans l’art d’harponner l’amateur de pop exigeante à grands coups d’« appâts » en forme de refrains sucrés, pour ensuite noyer la proie dans des arrangements modernes et chatoyants. Sa voix androgyne ne fait qu’accentuer le trouble irréel, étrange compromis entre les paillettes exubérantes d’un Marc Bolan et l’exaltation haut perchée d’un Grant Lee Phillips.

Trois ans plus tard, Personnality annonce d’emblée la couleur avec son titre, c’est un manifeste d’égocentrisme assumé. Présenté sous une pochette bien pompière, l’australien ne cache pas ses pouvoirs surhumains. La scène est digne d’une tragédie greque : posant vaillament tel un XMen (il en a également profité pour raser sa vilaine moustache), il porte dans ses bras sous double affaibli, avec en arrière-fond une déco style Empire rococo. Dans le genre sommet du kitch, Polnaref n’aurait pas fait mieux.

Evidemment, de personnalité, Luke Steele n’en manque pas. Le surhomme déborde d’ambition et semble n’avoir besoin de personne, ni même d’un Dave Fridmann, pour parvenir à ses fins en studio (l’admettrait-il d’ailleurs dans “Work Alone” ?). Obsedé par les productions 60’s gargantuesques (Spector, les Mamas & Papas), il maîtrise et modernise avec excellence cette fascinante profondeur de champs autrefois appelée Wall of sound, dont une partie du secret repose sur une réverbe chimérique qui enrobe des airs désarmant de proximité.

Les glissandos country de pedal Steel qui caractérisaient une partie du son de Lovers sont dorénavant écartés pour une production plus Glam et spectaculaire. Les instantanés “You Needed More”, “Don’t Say” et surtout “Devil Was in My Yard” ne cachent pas les ficelles autrefois magnifiées par un Tony Visconti sur Electric Warrior. Un mur de violons tournoyant se dresse devant des guitares électriques puériles et des choeurs de déesses. Sur l’impressionnant “I Understand What You Mean But I Just Don’t Agree”, on se laisse facilement berner par ce tour de magie.

Dans cette surenchère de la pop song parfaite, mieux vaut construire une assise solide. Sur ce point, l’ossature de certaines compositions souffrent d’une construction trop linéaire (mais certains vous répondront que là réside le charme de cette musique). Tel “God Knows”, affublé d’un titre Beach boyesque, un peu trop rébarbatif pour vraiment convaincre.
Mais c’est le prix de la démesure. Luke Steel est capable en amont de grandes choses. On tombera d’admiration à l’écoute des choeurs féminins gorgés de soul 70’s sur “I Understand What You Mean But I Just Don’t Agree” ou l’onirique “Dream On” armé d’une puissance symphonique de feu. L’alien australien se permet des audaces en bousculant le format (le beat discoïde sur “Play a Little Bit For Love”) et pousse le vice jusqu’à franchir la frontière suédoise sur le très Abba “You Won’t Bring People Down In My Town”.

La formule est connue mais terriblement appropriée : la vision de grandeur de The Sleepy Jackson effraye ou subjugue, mais ne laissera personne indifférent.

– Le site de The Sleepy Jackson