Ces vikings romantiques s’aventurent dans les contrées de la ballade pop enneigée et habitée. Une fugue magnifique qui nous rappelle au bon souvenir d’OK Computer.


Après l’impérial album de Midlake, voici donc les derniers rejetons de la famille Radiohead millésimé 97 : les précieux islandais Ampop. Si pour couper court cette chronique devait se terminer la ligne suivante, nous dirions que ce trio vient d’enregistrer la séquelle improbable d’Ok Computer. Vous imaginez l’ampleur de la tâche lorsqu’on s’attaque à un monstre pareil, mais aussi la prise de risque, car la pop exaltée dans laquelle évolue Ampop repose sur un équilibre fragile : un soupçon de maniérisme mal pesé, et le nectar peut virer tragiquement au vinaigre… Les derniers exemples en date ne manquent guère. Combien de médiocres Snow Patrol, Muse ou Keane pour un Arcade Fire ?

Si on parle souvent de « l’exception islandaise » dans le domaine de la musique – dont Björk et Sigur Ros sont les porte-drapeaux – Ampop confirme le bon goût héréditaire de cette nation. Et le public islandais, bien sûr plus intelligent que la moyenne, ne s’y est pas trompé : Made For Market sorti en 2003 a permis à nos musiciens de Reykjavik d’obtenir leur premier disque d’or islandais. Une récompense qui n’en restera certainement pas là vu le calibre de ce nouvel opus.

En observant leur intrigante discographie, on constate que nos tendres vikings ont effectué le parcours inverse de Radiohead. De leur début où ils privilégiaient les textures électroniques bordées d’éléments stalactites, ils ont progressivement dérivé vers un songwriting plus ambitieux. Produit sur fond de blizzard en cinémascope, leurs ballades s’adjoignent désormais d’instruments plus organiques : un Wurlitzer, un piano olympique, une Telecaster pleureuse et enfin quelques pulsations de coeur électroniques en guise d’étoffe contemporaine.

Fins stratèges, Biggi (chant, guitares), Kjartan (clavier), Jon Geir (batteries) sont des petits chefs qui méritent les quatre étoiles Michelin de la pop. Ils nous cuisinent des mélopées sophistiquées, tout en respectant scrupuleusement les doses d’émotions prescrites depuis l’insurpassable “Karma Police”. Grâce à son falsetto haut perché, Bigir Hilmarsson est capable de pousser le frisson dans ses retranchements sur le gracieux “Youth”. Il réitère sur le vague à l’âme folk de “Clown” et “Weather Report”. Les guitares se font rarement frondeuses et frappent toujours par détour subtil et élégant (“Ordinary World”). On se plait à penser dans ces passages-là qu’Ampop réussit magistralement là où Muse s’embourbe depuis ses débuts.

Mais Ampop a aussi d’autres cartes à jouer que celle des ballades terrassées et modernistes. Musiciens accomplis (les marques des instruments utilisés sont mentionnés sur les crédits, un signe), les Amplificateurs pop savent nuancer leurs silences et tendre vers l’abstrait façon Spirit of Eden (“Distance”). Ampop se lance même quelques challenges sur son propre terrain de jeu : le pétaradant “Eternal Bliss” provoque dès les premières notes un martèlement de batterie à la “Politics” de Coldplay, infléchit ensuite vers des progressions jazz éthérées, puis reprend son ascension de plus belle. Terriblement pop, la chanson titre “My Delusions” couvre de neiges les pavés immortels d’Abbey Road. Une voie royale.

Admirablement produit, les fans inconsolables des grosses têtes d’Oxford depuis leur orientation vers une musique plus cérébrale (post OK Computer) ne bouderont pas leur plaisir avec ce délicat ouvrage.

– Le site d’Ampop