Cette formation amphibie alterne entre sadcore et post-rock sans jamais sombrer dans le médiocre. Au contraire, elle s’enfonce dans l’obscurité pour en puiser une lumière aveuglante. Essentielle.


La porte se referme brusquement derrière nous. Il fait désormais absolument noir dans la pièce et l’aiguille de notre montre devient incontrôlable. Les murs s’écartent à mesure que le néant occupe l’espace. Un son lointain, spatial et strident s’approche, nous traverse, puis s’éloigne. Le doute d’un acouphène nous submerge. Puis c’est de nouveau ce silence de mort. Ce cauchemar, Early Day Miners vient de le retranscrire sur disque.

David Burton, tête du groupe à géométrie variable Early Day Miners, est probablement le genre de type à se réveiller en pleine nuit et noter dans un carnet les sensations que lui procurent ses rêves. Il devait certainement lui manquer quelques bouts pour aboutir à Offshore, projet qui sommeille dans les cartons depuis 2001. Les premières ébauches de cet EP six titres remontent en effet à leur second album Let Us Garlands Bring, où figure le titre clé “Offshore”. Obsédé par cette progression d’accords hypnotiques, Burton la recompose en six mouvements. Six titres qu’il considère comme sa version director’s cut du morceau, qui à l’origine durait déjà 8 minutes 10.

Offshore est une oeuvre sombre et cinétique. Le sadcore rèche et déjà superbe d’All harm Ends Here (2004) d’Early Day Miners s’est mué en un post-rock noir et déchirant. Quelques invités proches de leur nébuleuse, et triés sur le volet, sont venus prêter main forte à ce projet abyssal. Le guitariste Dan Matz de Windsor For The fuckin’Derby vient recouvrir de halo de distorsion ces fresques épiques, tandis qu’Amber Webber de Black Mountain pose sa voix ensorcelante sur un titre, l’éthéré et définitif “Return of the Native”.

Tout le long de cet EP de 38 minutes, des figures mélodiques se forment et se déforment pour ouvrir de nouvelles perspectives, plus intenses les unes que les autres. La production « mur du son » de John Mc Entire (Tortoise) inocule une sensation de flottement permanent, mais aussi de profondeur insondable. Le travail d’orfèvre effectué sur les guitares, pièces centrales du puzzle (pas mois de 5 guitaristes se relayent sur ce disque) est tel, que l’on pense successivement aux quatre cordes innovatrices d’Idaho, Loveless, ou encore au space rock mastodonte de Paik. C’est dire le niveau ! Dès l’instrumental “Land Of Pale Saints”, une lourdeur assommante et solennelle nous aspire pour s’évaporer progressivement sur une section de cordes purificatrices. Vient ensuite le chant de Burton qui se laisse léviter sur “Deserter” et “Sans Revival”, quelque part entre TV on The Radio et Peter Gabriel. Le no man’s land ambient de “Silent Tents” prépare enfin l’ouragan final, “Hymn Beneath The Palisades”. Sur cette synthétisation des cinq plages précédentes, cataclysme post-rock et lignes claires flouttées s’opposent dans une lutte de près de huit minutes. Grandiose.

Offshore est un disque d’errance, contemporain et abîmé. A vrai dire, il nous rappelle étrangement une nouvelle d’Arthur C. Clark, Les chants de la terre lointaine. A la dernière page, le héros s’enfonce dans l’espace à la vitesse de la lumière pour trouver une nouvelle terre. Loin des siens, il assiste sur l’écran de contrôle à la naissance de son enfant, et voit défiler en accéléré le cours de sa vie jusqu’à sa mort. Il réalise alors qu’il est désormais seul, perdu dans le vide intersidéral.

– Le site officiel