Les guillemots ne sont pas manchots lorsqu’il s’agit de composer une mélodie emportée, passionnée. Ces drôles d’oiseaux de la pop ont grandi très vite, pour atteindre des altitudes inespérées.


Savez-vous ce qu’est un guillemot ? Un guillemot est une petite espèce de pingouin qui prend ses quartiers dans l’hémisphère nord. Réputé pour sa maladresse – l’oiseau n’est pas vraiment doué pour la marche et le vol -, il se révèle par contre redoutable marathonien, capable de parcourir jusqu’à 6 000 km par an durant la période migratoire. Les 1000 premiers kilomètres se font généralement à la nage (à l’aise Blaise). Intrépide jusqu’à l’os, l’oisillon est capable dès l’âge de trois semaines de sauter du sommet de falaises de plus de 500 m de haut. Ça vous cloue le bec, hein ?

Loin de l’Arctique, il existe sur la banquise Londonienne une autre espèce de Guillemots, dont le comportement conserve des similitudes avec ses aînés. Derrière une approche musicale désordonnée, leur persévérance et leur ferveur dans leur art côtoient in fine le sublime. Migrateur confirmé, ce quatuor, réuni autour du chanteur Fyfe Dangerfield depuis 2003, nous vient des quatre coins du monde : Brésil, Canada et Ecosse.
Repéré par notre regretté John Peel, via l’expressionniste single “Trains To Brazil”, le quatuor enquille avec From The Cliffs qui réunit leurs deux premiers EPs. Le disque, un peu éparpillé, laissait déjà entendre un potentiel exceptionnel qui ne demandait qu’à mûrir. A l’image de leur pochette, les marmots Guillemots cachaient bien leurs ambitions dans leur bac à sable.

Through The Windowpane donne enfin une idée de leur potentiel sur l’épreuve du long format. Le disque est très long, presque marathonien. Ceux emballés par la verve délurée et immédiate de “Trains To Brazil” et “Made Up Lovesong #43” seront un peu décontenancés. A l’exception du titre éponyme, et ceux déjà connus, l’énergie est peu représentative du reste de l’album. Through The Windowpane est un disque dense, gorgé de rebondissements, et de ce fait il est difficile de mesurer l’ampleur d’un trait.

Le rideau s’ouvre sur des arrangements de cordes somptueux. “Little Bear” est une torch song au piano presque pompière tellement le lyrisme symphonique qui s’en dégage est imposant. Avec ce déballage de surenchère, le quatuor entend clairement désarçonner l’auditeur en s’écartant de cette image de trublion déluré indie rock qui lui colle à la peau. Derrière les baguettes de son orchestre classique, le maestro Fyfe Dangerfield n’a pourtant pas perdu ses penchants azimutés. Il met désormais sa folie au service d’un lyrisme en cinémascope, de mélodies qui prennent le temps de respirer, de grandir, jusqu’à devenir hors-d’atteinte.

L’organisation des chansons semble méticuleusement pensée, et balance judicieusement entre instants abandonnés et percées grandioses. C’est d’ailleurs ce contraste entre séquences silencieuses – qui accusent par moments des longueurs évidentes – et montées en puissance qui donne toute sa singularité au disque. Des instants précieux, comme le magnifique « If The World Ends » et « Come Away With Me », invitent à redescendre sur terre, contempler les choses simples avant que la flamme ne se rallume et emporte tout. “Still Be Blue” surprend par son habillage ultra dépouillé : une mélodie synthétique substantive et la voix très proche de Fyfe Dangerfield.

Puis revient le temps de la démesure de sentiments. “Redwings”, prodigieuse ballade, démarre presque au point mort, puis s’envole progressivement pour brûler ses ailes dans un délire d’émotions. “Sao Paolo”, mélopée de 12 minutes qui clôt ce disque en apothéose, est un véritable tour de force à rendre vert de jalousie Rufus Wainwright. De mémoire, il faut remonter à Antony & the Johnsons pour atteindre un tel degré de frissons. Nouveaux prodiges, Fyfe Dangerfield et ses compagnons d’aventure s’imposent comme l’un des rares talents de la pop capable d’emporter le public dans une course effrénée à l’émotion. Par leur courage et flamboyance, ils nous rappellent les Waterboys, d’autres grands héros de la pop.

Les Guillemots sont totalement dévoués à leur musique et cherchent à la transcender coûte que coûte. On peut ne pas adhérer à cette franchise, mais il est difficile de douter de leur implication. Car lorsque l’enjeu devient grand, Guillemots sait indéniablement tirer le meilleur de lui-même.

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