Un groupe originaire de Touraine crée la surprise, avec cet album aux accents romantiques que ne renieraient pas les Tindersticks. Onze titres tout en profondeur et en finesse.
Reconnaissons-le : il nous arrive parfois d’être de mauvaise foi. Emprunt de certains réflexes et autres préjugés, formés au fil d’une histoire personnelle jalonnée de groupes anglophones. Ceux-là même qui consistent à croire – très naïvement, je le concède – que la sensibilité ou la mélancolie ne reviennent qu’à des chanteurs anglais. La fréquentation assidue des univers précieux de Morrissey, David Sylvian ou Tindersticks y est sans doute pour beaucoup dans ce trouble perceptif. Heureusement, cette pathologie est bénigne, et une seule écoute de ce premier album éponyme de The Sugar Plum Fairy va suffire à en corriger les effets.
Reprenons. Le premier contact avec ce groupe se tisse au travers d’une écoute particulièrement agréable : les titres défilent d’une traite, grâce à une évidente homogénéité de style. Un brin romantique, la voix grave du chanteur évoque immédiatement Stuart Staples des Tindersticks : mêmes vibrations sur la fin des notes, mêmes tonalités chaudes. Voulant connaître le nom de ce chanteur sur le berceau duquel une bonne fée s’est sans doute penchée, l’auditeur découvre que ce groupe, dont le nom est extrait d’un célèbre ballet de Tchaïkowski (notre «Casse-noisettes») est français, tourangeaux plus exactement. Avec l’effet de surprise – teintée d’une once de fierté même pour le moins chauvin d’entre nous – que cela implique, la nouvelle provoque aussi un intérêt accru pour ce «projet». Comme si l’ampleur des mélodies, la beauté troublante de cette voix avaient quelque chose de miraculeux : sans doute un résidu de cette pathologie évoquée plus haut. Il s’agit pourtant de se laisser aller à la musique, pour ce qu’elle est vraiment : une avalanche de sons, traversés d’émotions qui transcendent toute origine géographique.
Que nous soyons obligés de faire cet effort – précisément un effort d’abandon – doit sans doute, et légitimement, agacer les membres qui composent ce projet. Pourtant, on ne peut s’empêcher de penser que leur musique résonne d’une familiarité rassurante. On croise avec bonheur les figures, tantôt fantomatiques, tantôt vibrantes de Nick Cave ou d’un Ian Curtis, la tension maladive en moins. Point de redite ou de plate transposition cela dit : The Sugar Plum Fairy maîtrise son propos – et ses illustres références – comme autant de points de fuite sur une même perspective, celle d’une musique habitée. De l’ouverture, “Picture”, on retient tout de suite la mélodie entêtante, quasi-cinématographique : rien d’étonnant pour un groupe qui possède en son sein une cinéaste, chargée des nombreuses projections qui ponctuent leurs concerts, et de cette intrigante vidéo aux superpositions cristallines (le bonus “Hypnotized”). Le chant d’Aurélien Jouannet magnifie cet écrin vibrant, traversé de textures électroniques. Le piano, qui devient soudain plus grave, accompagne une progression crescendo bien maîtrisée.
Dès “Foreign Town”, la composition est irradiée de quelques notes plus lumineuses, d’une clarté toute relative eu égard aux échos mélancoliques du chanteur. Car c’est dans les compositions en mode mineur que le groupe est le plus à l’aise. Le piano, fidèle compagnon d’un chanteur en proie au spleen, est au centre de la majorité des titres : “Winded Curses”, “Blind” ou “Monochrome” , avec ses accords répétitits sur lesquels surnage une mélodie plus aérienne. Sur certains titres, des cordes viennnent en renfort : “Hypnotized” porte bien son nom, tant les arrangements à la fois simples et veloutés exercent une fascination sur l’auditeur médusé. Enfin, “Légère Atteinte” clôt l’album avec brio, sur une mélodie à la fois déchirante et inspirée.
Un bel album en mode mineur, qui pourrait s’avérer majeur pour la musique (française) actuelle.
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