La catalogue impeccable de Fargo s’allonge encore un peu avec la sortie de ce véritable premier album de J. Tillman. Un songwriter généreux qui aura tôt fait de nous réchauffer avec ses neuf ballades veloutées.
La scène folk de Seatle accueille un nouveau venu : telle pourrait être perçue l’arrivée de Jay Tillman au milieu de ce cercle fermé qui compte Damien Jurado ou Band of Horses. Mais à y regarder de plus près, J. Tillman n’a rien d’un débutant. Du haut de ses 26 ans, il a déjà un passé de songwriter – avec deux albums autoproduits à la distribution plutôt confidentielle – et plusieurs tournées à son actif. Minor Works ne fait donc que lui donner enfin l’audience qu’il mérite, grâce à l’appui du label Fargo et la bienveillance de ce même Damien Jurado.
Pour la majorité d’entre nous,Minor Works agit comme une présentation en bonne et due forme à l’art de J. Tillman, les deux albums précédents étant désormais épuisés. Il possède effectivement cette fraîcheur et cette spontanéité qui caractérisent les meilleurs coups d’essai. Face à cette reconnaissance méritée, J. Tillman n’a pas pris la grosse tête pour autant et a choisi un titre humble et décalé pour qualifier ses compositions : «Minor Works» («Travaux Mineurs»). Ce titre va à l’encontre de la mégalomanie propre à certains chanteurs, mais également de cette pathologie journalistique qui consiste à faire un usage immodéré des superlatifs. «Meilleur album depuis…» ; «Chanson qu’aurait rêvé d’écrire Untel»… : J. Tillman contrecarre, avec malice, les réflexes habituels des critiques rock – et je ne m’exclus pas de cette catégorie fort bien représentée dans la presse musicale. Reste à savoir si ce choix dénote un réel aveu d’humilité ou témoigne d’une fausse modestie.
Il suffit d’écouter les premières notes de “Darling Night” pour avoir une réponse à cette question rhétorique : J. Tillman ne triche pas, et «Minor Works» n’est certainement pas un effet de manches pour s’attirer la sympathie. L’instrumentation, assez traditionnelle, est un mélange heureux de guitare, harmonica mélancolique et piano : un univers mélodique assez proche du dernier album de Bonnie Prince Billy. Puis vient la voix, tout en chaleur et en sincérité, qui nous berce tout au long de cette composition un peu répétitive. Et ce qui pourrait n’être qu’une redondance pénible produit une accoutumance immédiate : ce refrain un peu traînant («O darling/ It’s too good for a lifetime») doublé d’une voix discrète à la tierce n’a pas fini de nous accompagner. Même procédé sur “Jesse’s Not a Sleeper”, sans doute un hommage discret à Jesse Sykes, autre figure emblématique – féminine cette fois-ci – de la scène de Seattle. Le refrain, annoncé par un break à la batterie, soutient toute la composition, avec cette manière vibrante de faire résonner des syllabes : «Jesse, try to get some sleep». Jesse souffre peut-être d’insomnies mais en ce qui nous concerne, on n’est pas loin d’un état de rêverie éveillé très agréable. “Crooked Roof” ne fait que poursuivre ce moment privilégié avec une ballade flegmatique, ornée de quelques choeurs sur le refrain, et une douce mélancolie communicative.
J. Tillman maîtrise l’art de composer, et sait ajouter ce petit détail accrocheur qui donne une ampleur nouvelle à un morceau, évoquant par instants les Pernice Brothers. “With Wolves” est ainsi transfiguré par l’ajout d’une batterie après plusieurs mesures, tandis que “Take Care” utilise un banjo tout droit sorti du microcosme de Sufjan Stevens. Seuls quelques morceaux plus lents et exclusivement joués à la guitare acoustique – fidèles à ses premières compositions qui excluaient la batterie de l’instrumentation – manquent précisément de cette petite flamme : “Minor Works”, “Now You’re Among Strangers”. Un bémol qu’on oublie volontiers devant ce témoignage émouvant de sincérité.
– Le site de J Tillman
– La page Myspace