Sous les airs chantants de Juan Condori se dissimule une profonde mélancolie, celle dont aime se nourrir depuis de nombreuses années le grand bandonéoniste argentin Dino Saluzzi qui, à l’orée de ses 71 ans, rend ici hommage à un de ses amis d’enfance en dressant de lui un portrait musical tendre et émouvant. Accompagné de trois membres de sa famille (Felix ‘Cuchara’ aux cuivres, José Maria aux guitares et Matias Saluzzi à la double-basse) et d’un musicien « adoptif » (U.T. Gandhi à la batterie et aux percussions), le patriarche évoque un monde gracieux et onirique, où les souvenirs flottent tels des nuages dans un ciel étoilé et la terre exhale un parfum enivrant de sérénité. Comme un écho, le tango glisse entre les mailles de compositions exigeantes, savamment orchestrées, qui ont l’audace de tordre le cou aux clichés folkloriques dont Saluzzi ne s’est de toute façon jamais accommodés. Chaque instrument semble onduler à la surface d’une musique déliée, faussement immobile, qui dessine des reliefs d’ombre et de lumière, tout en générant un fertile déploiement d’images contemplatives dans l’esprit de l’auditeur (des morceaux de Dino Saluzzi ont d’ailleurs été utilisés par des cinéastes sensoriels comme Wong Kar-Wai ou Pedro Almodovar). Seul bémol : les interventions mielleuses et sans caractère au saxophone de Felix ‘Cuchara ‘ Saluzzi, fort heureusement peu nombreuses, au point de ne pas entacher le plaisir que procure par ailleurs l’écoute recueillie de ce très beau disque.
– Le site de Dino Saluzzi.