« Nous laissons la religion aux psychos et fanatiques. Mais nous sommes fatigués, nous ne croyons plus en rien, nous sommes perdus, allez dire aux femmes que nous partons… »


Concomitant à la sortie d’un superbe double DVD (The Abattoir Blues Tour) témoignant de la tournée qui a accompagné le chef-d’oeuvre Abattoir Blues/The Lyre Of Orpheus, Nick Cave et quelques-uns de ses – vieux – copains (Warren Ellis/Dirty Three, Martyn Casey et Jim Sclavunos – tous présents lors de cette tournée) ont décidé d’investir le garage, quitte à bien se salir les mains de suie. Mettre la main à la pâte revient, pour Nick Cave, à échanger son bon vieux piano inspirateur de ballades pour une guitare… et à composer en consortium.

Dès le titre en ouverture, on est littéralement pris par un son crade, brut de décoffrage, sorte de retour au bon vieux rock (celui des Stooges et de Deep Purple), mais tellement en phase avec notre époque. Mais cela ne suffirait pas à décrire la particularité de ce nouveau quatuor : Grinderman arrive à exceller dans un savant mélange de rock à sonorités saturées et de recherche sonore ultime, dévoreuse d’expérimentations diverses, exploratrice de terrains a priori minés. La prise de risques, Nick et ses nouveaux acolytes le répètent à qui veut l’entendre, est la principale caractéristique du groupe. Loin des sentiers battus et rebattus sur lesquels Nick Cave & The Bad Seeds se sentent quelque part obligés (par le public, par le label, par l’habitude aussi) de suivre une ligne déjà bien tracée, Grinderman offre des possibilités que l’appellation d’origine contrôlée n’offre plus : l’inconnu, l’amusement aussi. Et bien sûr la liberté. Quitte à méconnaître le succès et à connaître le fiasco sinon artistique, du moins commercial. Quand on lit ce genre de déclaration dans la presse, force est d’admettre que l’on doute fort que l’aventure se révèle être une catastrophe. Ou, en tout cas, on ne pourra pas jeter la faute à une « non-couverture médiatique », loin s’en faut. Pour clore ce petit exposé théorique, et pour donner à voir les deux facettes d’une même pièce, rappelons ne serait-ce qu’un exemple d’aparté artistique comparable : celui de David Bowie et de son Tin Machine … Et, c’est vrai, le groupe n’a pas laissé des souvenirs impérissables.

Mais revenons à nos moutons. Ce disque décoiffe. Dans tous les sens du terme. Il renferme de véritables bijoux (dont un mémorable « No Pussy Blues » – et l’on ne parle même pas ici de son excellente illustration en clip vidéo ou un « Go Tell The Woman » qui sonne comme une profession de foi) qui justifient largement l’achat de ce disque. Avec « Get it On », il plaira à tous ceux qui, comme votre serviteur, adorent les titres très enlevés de Nick Cave & the Bad Seeds, tel « Babe, I’m on Fire ». Les ballades, peu nombreuses, illustrent à la perfection le vieil adage : chassez le naturel, il revient au galop tant elles semblent provenir d’un de ses récents albums intimes (citons, for the record, The Boatman’s Call).

Au rayon des nouveautés, on trouvera des manières de faire à la Tom Waits (« Grinderman »), quand ce n’est pas carrément world (le très oriental « Electric Alice »). A l’instar des films de Jim Jarmush (dont les membres du groupe empruntent le look), les paroles, proches d’un Charles Bukowski, sont elles-aussi un condensé des frustrations quotidiennes qui sont le lot de chacun, et qui, parfois, font littéralement péter les plombs. Ce disque est une manière très saine de ne pas le faire, de laisser les titres vous emporter et vous energiser. Un véritable pied. Car, encore une fois, c’est du côté des sons saturés, des guitares énervées et des changements de rythme qu’évoluent la plupart des titres, offrant une sorte de retour aux années 70 tout en montrant la grande modernité qu’il y a à ramer contre vents et marées contemporains (peu de disques actuels arrivent à faire ce lien entre brut et net). « No Pussy Blues » évoque le « Caffeine » des Faith No More, avec ses allées et venues entre tension et explosion, Nick Cave remplaçant Mike Patton dans le rôle du gars qui pète un câble. Comme le singe de la pochette en somme.

Nick Cave est bel et bien l’un des acteurs principaux de la musique des années 2000. Le fait que cela vous semble une évidence, comme la pluie ça mouille (sic), ne fait qu’enfoncer le clou.

– Le site de Grinderman