De la rencontre de deux mondes a priori déconnectés jaillit parfois une étincelle qui met le feu aux poudres – du jazz en l’occurrence. Entre Eric Le Lann, le trompettiste qui a fréquenté de près Archie Shepp, Chet Baker ou Herbie Hancock et Jannick Top, le bassiste de Magma qui a joué derrière Michel Berger et Johnny Hallyday, il y avait bien un monde, pas un fossé infranchissable, plutôt une différence de latitude. Mais voilà, ces deux-là se sont croisés, pas vraiment par hasard, le premier ayant débauché le second pour mener à terme ce projet de jazz en fusion, où le rock vient côtoyer l’électro. Deux autres musiciens en pleine ascension sont ensuite venus se greffer, le batteur plein d’allant Damien Schmitt et l’exquis guitariste Lionel Louéké, ainsi que des éléments perturbateurs (dont l’excellent Fabien Colella aux claviers et machines), pour un mélange de générations dont le résultat s’avère envoûtant à plus d’un titre. De modernité on ne parlera toutefois pas ici, de peur de juger ce Le Lann Top à l’aune d’un critère qui le dessert (du point de vue de l’alchimie esthétique rock/électro, l’album semble en retard d’une guerre, surtout comparé au récent Rockingchair, les ajouts électroniques tombant plus d’une fois à plat, excepté sur “Back Time Trip” qui témoigne d’une réelle acuité contemporaine). On préfèrera en revanche évoquer ce sens inouï du groove qui vient de loin (Miles Davis), cette façon de sonder les profondeurs du son en dynamisant constamment l’espace et modulant la tension qui s’échappe des instruments. On retiendra aussi ces lentes déambulations en terres urbaines, entre chien et loup, où la trompette de Le Lann se faufile à travers de fascinants méandres harmoniques, souvent au carrefour de plusieurs styles, mais sans perdre le fil de la mélodie. A la fois explosifs et tout en retenue, Le Lann et Top font trembler les murs pour l’instant d’après s’y frotter le dos en douceur. Une rencontre (d)étonnante qui, on l’espère, ne restera pas sans suite.
– Le site de Nocturne.