Quand trois pauvres ères shootés à l’adrénaline se réfugient dans la cave, c’est pour discrètement s’adonner à la country-folk des bas fonds. Attention, la déshydratation n’est jamais loin.


Seattle n’est pas exactement le temple de la country-folk. Et c’est pourtant là que sont nés The Cave Singers, soit trois rockeurs pur jus qui s’avouent mutuellement une passion (honteuse ?) pour cette musique séminale. Et de décider de se cacher pour accorder leurs six-cordes et s’essayer à revisiter l’histoire. Le résultat est Invitation Songs, un premier album caillouteux et envoûtant.

Sècheresse du jeu, batterie haletante et ambiance oppressante sont autant d’éléments qui confèrent à Invitation Songs une couleur grisâtre. La country que Pete Quirk, Derek Fudesco et Marty Lund ont trouvé dans la cave est de celle où pullulent les crotales, qui crame la peau et cisaille la voute plantaire. On pense à une version desséchée de la musique de Sixteen Horsepower, débarrassée de son banjo sanguinaire. Du coup, on n’évolue pas ici dans la complainte, le déchirement de l’esprit ou la torture christique de l’âme qui fit de chaque chanson issue du cerveau malade du grand David E.Edwards des messes noires. Non, la méditation et l’introspection sont ici nettement privilégiées. Mais pas de celles qui reposent ou rassurent, il s’agit plutôt d’une quête identitaire, d’une recherche scrupuleuse de tout ce qui pourrait donner sens à une vie.

On se souvient encore de la terreur engendrée par le trio malade Lift To Experience sur leur unique album, le monumental The Texas-Jerusalem Crossroads (Bella Union, 2001). The Cave Singers semble marcher sur les traces de Josh T.Pearson, faisant fi du discours à forte teneur biblique, mais en lui enjoignant le conseil de revenir parmi les vivants, lui montrant une nouvelle façon de dépeindre les doutes qui hantent un homme perdu. The Cave Singers, à l’instar du trio texan, construit sa musique avec trois fois rien, quelques cordes, une batterie et une grosse poignée de poussière. Et cela suffit à tracer sa route. On y croise certes quelques mariachis, un piano, un melodica, quelques squelettes et deux-trois spectres. Mais là où Edwards se serait jeté à genoux pour prier, ou quand Pearson aurait dégainé son mur du son pour faire fuir la Grande Faucheuse, Pete Quirk et ses complices préfèrent s’asseoir, allumer un feu, partager quelques bières et mettre l’ennemi (la mort ? les amours perdues ? la solitude ?) en confiance. L’endormir… pour mieux le tuer, d’un coup sec.

La voix nasillarde de Quirk donne à ces chansons une patine incroyable, renforcée par une rythmique tour à tour endiablée ou lancinante, toujours égayée par une guitare légère. The Cave Singers évolue ainsi en permanence entre noirceur et éclat, enthousiasme et désillusion, terreur et plénitude. On devrait d’ailleurs présenter Pete Quirk à John Harold, le chanteur des indispensables I Am Kloot, il y aurait des ponts à créer entre Seattle et Manchester tant leurs chants sont proches et leurs univers raccords dans cette propension à marier douleur et jovialité.

Invitation Songs est un album qui se laisse apprivoiser avec difficultés. Normal pour un animal sauvage évadé de son cirque. Mais une fois mis en confiance, sa fidélité sera redoutable. Il y a des échappées nettement moins réussies, même consignées dans une cave.

– Leur MySpace