Les Vikings sont de retour, avec casques à cornes et bave aux lèvres. Allez, pleure, bébé, tu ne sais pas ce qui t’attend.
La Norvège ne produit pas que des douceurs pop. Il faut, pour s’en convaincre, entendre une fois dans sa vie une chanson d’Ungdomskulen, trio qui s’est fixé pour objectif de provoquer l’Apocalypse à grands coups de riffs. Et l’équipement de destruction massive est pourtant bien chiche : le sacro-saint triptyque guitare/basse/batterie, et une épée à peine tirée du foyer de la forge. C’est peu, et bien suffisant.
Kristian Stockhaus (chant, guitare), Øyvind Solheim (batterie) et Frode Kvinge Flatland (basse) cultivent un goût immodéré pour le rock brutal sous toutes ses formes. Punk, hardcore, progressif, psyché, post-punk… 40 ans de musique avalée, à peine digérée, et recrachée dans une boule de digestion vaguement ovoïde. Cry Baby ne comporte pourtant que huit titres, étirés sur plus de 50 minutes, et sur lesquels ces sauvages balancent leur mélasse sans ménagement et sans distinction, comme elle vient. Pas un titre qui ne termine comme il a commencé, alternant fougue et lancinement, coups de butoir et escapades oniriques, sans jamais vraiment ralentir la cadence. Si Ungdomskulen était un sport, il serait une épreuve d’Iron Man poussée à l’extrême.
Inconvénient, on accroche difficilement à cette musique qui ne sait pas ce qu’elle veut, ou plutôt qui en veut tellement qu’elle se fourre tout dans la gueule : inconvénient oublié à force d’écoutes tant la mixture est plus recherchée qu’elle en a l’air. Condition, les musiciens doivent maîtriser a minima chacun des styles convoqués manu militari : condition largement remplie. Contrainte : la pauvreté des moyens oblige le trio à adopter un son brut de décoffrage, sans artifice ni caprice ; contrainte rapidement retournée en avantage, car les Norvégiens sont dès lors libérés de tout carcan et jouent la tête sur les pédales de disto, le micro dans la gorge.
On pense souvent aux regrettés At The Drive In bien plus qu’à leurs petits frères Mars Volta tellement l’énergie primaire explose ici, au détriment d’une recherche formelle qui finirait plus par fatiguer qu’impressionner. Sans compter un sens mélodique qui éclaire souvent ces monstres multicéphales, comme sur “Modern Drummer”, titre phare de Cry Baby qui aurait très bien pu sortir de la cuisse de Josh Jupiter Homme. Car si les Ungdomskulen préfèrent d’abord défoncer le chambranle avant de vérifier si la porte était ouverte, ils le font avec une classe propre aux grands carnassiers de l’histoire, conscients de cette violence parfaitement canalisée et de son effet sur la populace : sourire sardonique, yeux mi-clos, cheveux sales au vent, l’évidence même.
Finalement, on ne sait si tout cela tient à un talent certain bien que très mal dégrossi, à une inconsciente jeunesse brûlant les icônes par les deux bouts, ou bien à un retour (involontaire) à une ligne simple. Car ce son que l’on rencontre habituellement chez des boutonneux en jeans slim et cravates à bouts carrés qui n’ont retenu du rock que les photos des numéros de Rock’n’Folk récupérés dans le grenier familial, ce son râpeux procure à cette musique énorme une humanité, inquiétante certes, mais bien palpable. Les quelques approximations ou égarements relevés ici et là ne s’en portent que mieux. Et nous de remettre les doigts dans la prise pour être bien sûr que ça fait mal.
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