On pourra trouver quelque peu paradoxal qu’à l’occasion du concert donné en Suisse pour fêter ses 70 ans, évènement important s’il en est, Charles Lloyd enregistre un album nettement en deçà de ceux qu’il a sortis ces dernières années chez ECM (dont notamment le formidable et inusable Which Way is East, 2004). Contraste d’autant plus frappant que ce nouveau disque succède à un autre live, Sangam (2006), où le saxophoniste, accompagné d’Eric Harland (à qui il revient la lourde tâche de suppléer avec brio au regretté batteur Billy Higgins) et Zakir Hussain (tabla, percussions), brillait de mille feux (y compris au piano, au taragato et à la flûte alto). Sur Rabo de Nube, qui emprunte son nom à une chanson du musicien et poète cubain Silvio Rodriguez, seule reprise (mollassonne) parmi un répertoire de sept morceaux originaux, la flamme semble justement manquer de cette envergure qui lui faisait incendier un horizon aux infinies possibilités. L’ardeur hard-bop inaugurale de “Prometheus” ne sera ainsi qu’un rideau de fumée laissant place à une inspiration et un lyrisme par trop prévisibles. Non que Rabo de Nube manque de rythme (l’envolée piano/contrebasse/batterie de “Booker’s Garden” atteste par exemple d’une belle énergie de groupe), mais la fièvre demeure comme sous contrôle, plus au stade finalement de velléités que d’une ferveur communicative qui ne relèverait d’aucun petit arrangement avec la douce mélancolie. Même l’incursion, à présent habituelle, du côté d’une world affranchie (“Ramanujan”) séduit en raison du jeu à la fois élégant et physique au piano de Jason Moran (assurément l’aspect le plus passionnant du disque), plus qu’elle ne donne lieu à un déplacement bienvenu de perspectives ou tienne d’une impérieuse nécessité. Plaisant mais mineur.
– Le site de Charles Lloyd
– Le site de ECM