En rugby, un des gestes les plus difficiles à accomplir est aussi un des plus beaux à admirer : le cadrage/débordement, cette technique qui donne à voir un joueur généralement véloce imprimer une direction à sa course, et au moment exact où son adversaire s’apprête à le stopper net, prendre une orientation tout autre en une fraction de seconde. Joseph Arthur est le maître incontesté du cadrage/débordement musical. A double titre. C’est d’abord quand il sort de la voie toute tracée de la routine album/tournée, pour produire une quantité impressionnante d’EP, qu’il est le plus fascinant. Ensuite, par son appétence pour le folk défiguré. Il nous avait prévenus, le successeur de l’impeccable Could We Survive serait « techno et chaotique », malgré tout ce Crazy Rain tortueux et malade nous cueille sèchement avec ses chansons toujours solidement ancrées dans leurs fondamentaux, mais abîmées par un traitement électronique inquiétant. Le divin chanteur d’Akron propose en effet huit titres gluants qui le voient maltraiter sa voix si unique, torturant ses mélodies (toujours exceptionnelles) à grands coups de rythmiques saturées, de guitares malaxées et de nappages synthétiques orageux. Sans verser dans l’expérimentation sonore à tout crin, ce qu’il s’est échiné à créer sur ses récentes livraisons parfois ampoulées (à l’exception notable du délicieux Nuclear Daydream) semble prendre forme ici. Il canalise enfin ses idées débordantes, sait s’arrêter à une option, lui donner forme, et surtout y mettre un point final au moment opportun. Crazy Rain se révèle dès lors comme un EP majeur de sa discographie pléthorique, un nouveau virage prometteur, et les huit titres qui le composent autant de chansons magistrales. Notre impatience s’en trouve décuplée quant à l’arrivée des deux prochains volets et surtout du septième album de Joseph Arthur, album que l’on pressent grand.
A suivre : Vagabond Skies…
– Le site de Joseph Arthur