Les duos de piano sont suffisamment rares pour que leur seule existence suscite déjà en soi un intérêt non négligeable. Peu connus par chez nous, les jeunes pianistes britanniques Dave Stapleton (auteur aussi des magnifiques photographies qui ornent le livret) et Matthew Bourne investissent avec brio et intelligence l’exercice, périlleux s’il en est, du dialogue à quatre mains, témoignant régulièrement d’une sensibilité contenue et bouleversante — bouleversante justement parce que contenue. Telle cette confrontation gauche/droite sur l’emblématique titre éponyme, où Stapleton se livre d’un côté à quelques furieuses exactions sur son instrument (notes jouées par à-coups, percussion de cordes, polarisation sur l’aigu), tandis que de l’autre Bourne déroule calmement une mélodie déliée et magnifique. Chaos et harmonie, lourdeur et flottement s’affrontent en un face à face troublant, selon un rythme propre qui trouve à s’intriguer plus qu’à s’affirmer. Pareils entrelacs, jusqu’au recouvrement, se font entendre sur « Like Enlightenment », qui voit le piano du premier menacer dangereusement celui du second. Ailleurs, résonances et échos, mais aussi contrepoints et redoublements impressionnistes de leitmotiv opèrent une dialectique de vases communicants (ou pas). Eaux dormantes et cascade de notes furtives. Mélodies ombrées et propagation de motifs minimalistes. Passage de l’un à l’autre, en un frémissement de touche ou une brisure. Les dix-sept miniatures de Dave Stapleton et Matthew Bourne, inspirées des poésies de Julie Tippetts, renferment des lieux silencieux, des paysages de nuit, des velléités cinématographiques et peut-être bien des fantômes (pas étonnant, dès lors, que Dismantling The Waterfall évoque parfois l’univers d’un autre pianiste « fantomatique », Stéphan Oliva). Assurément un des plus passionnants disques de piano(s) sortis cette année, avec l’éblouissant solo de Marilyn Crispell.
– Le site de Dave Stapleton
– Le site de Matthew Bourne
– Le site de Edition Records