Micah Hinson revient. Egal à lui-même et toujours très bien accompagné. Reste qu’à être tellement lui-même, il n’est pas sûr qu’il n’en devienne pas insipide.


Décembre 2004. Alors qu’on ne parvient pas à faire le deuil du premier album d’un groupe de rock canadien qui met le feu à nos oreilles, à notre esprit, et accessoirement aux arcades, on pense que la liste de fin d’année des 10 albums les plus essentiels est achevée et que l’hiver sera bercé de ces musiques justes passées. On a bien alors les échos portés par un magazine de news culturel, incorruptible, qu’un jeune songwriter vient de sortir un album de folk-rock habité, suranné et soutenu par une voix qui semble être celle d’un homme de 247 ans (à l’époque il en a seulement 23) porté par une inébranlable force d’expression. On se dit que ce Micah Hinson & The Gospel of Progress pourra nous permettre de survivre aux fêtes de Noël. D’emblée, le chant rappelle un Johnny Cash qui enseignerait à Harvard : fragile et déterminé, précis et sépulcral, s’enroulant dans le raffinement des arrangements tous azimuts renvoyant autant au blues qu’au grunge. La liste venait d’être bouleversée.
Depuis, on a pu se procurer une réédition de titres anciens et deux nouveaux albums dont celui-ci Micah Hinson & The Red Orchestra, que l’on a écouté distraitement, un peu déçu, l’impression insurmontable que la joliesse de l’ensemble semblait un peu vaine, précieuse, artificielle.

La voix demeure caverneuse et les mélodies suaves mais tout cela sonne creux, emprunté, terriblement artificiel et monocorde. Ce dernier disque même s’il ne nous persuade pas que tout est définitivement perdu nous éloigne davantage encore de l’essentialité première. L’aridité originelle s’est changée en monotonie, les emballements en manie éprouvante, la langueur semble s’être muée en paresse. Dès les arpèges de “Come Home Quickly”, par ailleurs titre agréable, l’impression que l’orchestration n’est qu’accompagnement, élément superfétatoire, suggère ce qui s’avèrera par la suite : la musique de Micah Hinson a une propension à l’ostensible, rien ne fait corps, la voix plutôt que d’incarner la mélodie, l’étouffe et la décompose (“The Fire Came Up to My Knee”), les instruments paraissent seulement jouer les uns à côté des autres, et surtout bien loin de nous.

Certes quelques pistes s’avèrent intéressantes dès lors qu’elles sont surprenantes : “I Keep Havin’ These Dreams”, et son violon évoquant à la fois la musique Yiddish et Tzigane puis la préciosité d’accords classiques ; l’éphémère “Throw The Stone” et son banjo ou l’enveloppante mélodie de “Dyin’ Alone” qui se constitue dans la résistance même à la voix plutôt que de se voir écarter et abasourdir par ses accents par trop spectrales et mornes.

Malheureusement, tout était déjà dans le titre de l’album et des précédents, une affaire de préposition : « et » attache et sépare Micah Hinson de ceux avec qui il joue, aucune complémentarité, aucun tension interne aux morceaux, aucune correspondance, rien d’organique, tout n’est que mécanique. Question grammaticale et musicale, l’élision de la préposition sera l’avenir de cette musique, ou celle-ci ne sera pas : à la virtuosité et à l’accompagnement Micah Hinson devra préférer l’abandon, la perte dans les mélodies plutôt que la monotone expression de soi, à son solipsisme musical il devra substituer l’influence et la contingence d’une musique au pluriel.
On se dit alors que Micah Hinson c’était mieux avant. Et on lui en veut un peu de nous faire vieillir prématurément en nous inspirant cette pensée réactionnaire.

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– Son site officiel