Sous le crâne d’un homme qui vieillit décidément bien, Charles-Eric Charrier — ancien Man aux côtés de François Biyikli, aujourd’hui converti en électron libre avide d’expériences sonores tous azimuts –, le ressac d’une mer intérieure mugit, annonçant sans doute quelque tempête à venir. Il en va de la musique comme des pensées prises dans la tourmente : rampante, entre chien et loup, elle se fraie un chemin vaille que vaille, se rassasie des décombres. Et Two Heads Bis Bis d’apparaître moins comme un disque cérébral que comme un album-cerveau, monde forclos et mystérieux, à la pénombre généreuse, et dont on perçoit seulement des échos inquiétants, le battement sourd et primitif à travers l’épais amoncellement de textures organiques/synthétiques pensées puis spatialisées par Charrier. Toute la force de la démarche résidant précisément dans l’absence d’emportement, dans cette manière d’attiser un feu secret sans aller jusqu’à l’embrasement final. Grand péril de celui qui ose l’immobilité mouvante, le mouvement planant. Avec pour éléments nodaux une guitare électrique ferrailleuse (passionnante utilisation des sonorités métalliques, détachées souvent avec une précision métronomique), une basse poisseuse et lourde comme un soleil de plomb, ainsi que des instruments percussifs épars et les samples de Den Itzamna. Quand les cordes sont tantôt pincées, frottées, slapées, la batterie de Ronan Benoît ou Didier Richard et les congas ou l’afuche cabasa de Covalesky revêtent un caractère post-rock peu usité, voire tribal (“Ghosts”). Ne surtout pas oublier les voix, primordiales et nécessaires : qu’elles chuchotent, murmurent, récitent, bougonnent, gémissent, ânonnent, jamais vraiment compréhensibles, elles participent d’un phénomène de hantise. Voix intérieures qui bruissent et tremblent, s’isolent dans le champ sonore ou improvisent une danse de Saint-Guy, mettent un peu la frousse à l’auditeur et le perdent dans ce fascinant labyrinthe aux recoins inconnus.

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