Le couple japonais Natsuki Tamura et Satoko Fujii semble particulièrement s’épanouir dans l’exercice du duo, puisque Chun constitue leur quatrième rencontre discographique dans ce format instrumental. Le dialogue entre une trompette et un piano invite à imaginer le croisement géométrique d’un plan vertical et d’un autre horizontal, l’un justifiant son orientation, voire sa seule présence, en fonction de l’autre. Un excès de verticalité et voilà que l’horizon s’en trouve modifié. Un défaut d’horizontalité et c’est l’assise verticale qui bascule inéluctablement. Dès lors, plutôt que de fixer les repères pour assurer la pérennité de l’échange, tout l’art des duotistes va consister à composer avec la possibilité d’une chute, et à accorder leurs mouvements mutuels pour que cette chute soit sans cesse déjouée, évitée, toujours remise à plus tard. À ce jeu-là, Natsuki Tamura et Satoko Fujii s’avèrent de formidables équilibristes : leur face-à-face convoque toute une série de volutes, de combinaisons de sonorités et d’expérimentations impressionnistes, d’entrelacs de timbres, de dissymétries dans le phrasé et de décalages dans le placement dont la richesse nous ferait presque oublier qu’ils ne sont que deux. Autant de soudaines déviations et accélérations qui seront compensées par de délicats chantournements, une lenteur partagée dans laquelle se meuvent les deux musiciens avec sérénité et mélancolie. Sur la dernière pièce intitulée “Triangle”, longue de plus de vingt minutes, alors que les précédentes n’en excèdent pas cinq, l’ample composition de Satoko Fujii (par ailleurs auteur des toutes les autres) semble à maintes reprises menacée de destruction. Triturations liminaires des cordes du piano, dissonances, brusques attaques de la trompette, changements de dynamique impromptues et autres turbulences des fonds alternent avec un hiératisme méditatif d’une grande poésie qui découpe l’espace dans le sens d’une instabilité fondamentale. Ainsi envisagée, la musique se fait danse et tire sa haute valeur émotive de l’altérité. Magnifique.
– Le site de Libra