La déferlante de dithyrambes suscitée par I Am A Bird Now (2005), puis la pléthore d’apparitions d’Antony, subitement transformé en guest incontournable que tout le monde s’arrachait (on retiendra surtout le superbe The Snow Abodes enregistré avec Michael Cashmore), laissait craindre pour la suite un renvoi d’ascenseur surchargé, voire ronflant. Sorti quelques mois avant The Crying Light, l’EP Another World a eu déjà le premier mérite de lever toutes nos craintes : dépouillés, les cinq titres qui le composent sont davantage une ode au silence et à la solitude qu’une surprise-partie bruyante. Antony, corps massif et fragile qui s’habille d’ambivalence, subjugue une fois de plus l’auditoire par cette façon de n’être pas là, lui qui va jusqu’à mettre en sourdine son propre nom (Hegarty). C’est dans le retrait qu’il se meut, entre les touches de son piano, dans l’obscurité de ce chant virtuose qui semble en permanence chercher la lumière et la fuir. De là cette innocence et cette pureté qui bouleversent chez Antony : le chanteur ne se donne pas comme on veut bien nous le faire croire, au contraire, il est une figure de l’insaisissable qui n’existe que dans l’action de se chanter. Il ne fait qu’apparaître pour mieux disparaître — pour ne pas paraître –, via une dramaturgie de l’espace et du temps qui le met en suspens. Sur le titre éponyme qui ouvre le disque, on l’entend s’arrêter entre deux mots, respirer et faire entrer le vide, s’en nourrir et repartir, mystérieux. Plus loin, sur le saisissant “Shake That Devil”, cette respiration emplit tout l’espace comme une vérité échappée de soi, avant que des distorsions sonores, une batterie, des choeurs et un saxophone mobilisent une énergie passagère et salutaire, peuplent l’absence. Ailleurs : une beauté coupable, des éclats de voix, et quelques sanglots.
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