Saisir l’« instant décisif », comme le définissait en photographie Henri Cartier-Bresson, c’est reconnaître une image à la sauvette, quand une scène quelconque sort soudain de l’ordinaire et prend tout son sens derrière l’objectif. C’est cet équilibre délicat, entre concentration et spontanéité, qui fera office de révélateur sur la diapositive. On s’est longtemps dit que cette approche ne pouvait se transposer qu’en photographie. Mais voilà que le premier album de The Pains of Being Pure at Heart vient éclabousser nos certitudes. Ce jeune quatuor est parvenu, en creusant à partir des sempiternels trois accords ouverts chers à l’indie-pop, à faire surgir — encore une fois — une étincelante collection de belles mélodies furtives, hautement racées.
Des difficultés d’être un coeur pur. La quête pourrait sembler vaine, voire absurde en ces temps gris et nihilistes. Certes, ce jeune quatuor New Yorkais (trois garçons, une fille… aux claviers) n’arrive pas en conquistador sur les terres noisy pop, d’autres bien avant se sont déjà chargé de rafistoler les guitares indolentes géniales de William « Jesus & Mary Chains » Reid. Seulement, ce premier album s’impose comme l’élu, celui qui fera date. Et pourquoi pas, celui qui inculquera à une nouvelle génération quelques préceptes alternatifs perdus du siècle précédent. A savoir, précisément, les sermons exhumés du saint patron Morrissey : romantisme british et exacerbation des sentiments à l’intention d’étudiants en lettres rêveurs et timides (toujours avec un exemplaire en poche de Dorian Gray à portée de main). Trop jeunes pour en être, TPOBPAH ont noirci leurs cahiers d’école des noms de disques cultes chipés à leurs grands frères : en premier lieu les effluves pop stridentes de The Jesus & Mary Chains et My Bloody Valentine, les refrains incandescents de The Go-Betweens, Felt et des Field Mice, la posture lettrée des Smiths et The Pastels… Et derrière, laissés sur le bas-côté de la route de la postérité, les non moins valeureux Adorable, Slowdive, Swirlies, The Loft…
Leur éducation musicale ne nous prend pas en traitre. TPOBPAH a bien étudié la question avant de se lancer à corps perdu dans cette religion. C’est là toute la différence avec d’autres prétendants comme les Vivian Girls qui ne font qu’effleurer les sentiments en préférant prendre la pose, le regard vide. Nos challengers brooklynois portent la flamme musicale haut dans leur coeur. Kip Berman (guitares) et Peggy Wang-East (claviers), en mélodistes hors-pairs, confectionnent des refrains crève-coeur, supérieurs, d’une générosité immédiate qui transperce de part en part. Même l’insurmontable mur de bruit blanc érigé par les guitares électriques (tellement fissuré ces derniers temps de BRMC à TV On The Radio…) au contact de ces rouleaux pop incendiaires retrouve une certaine innocence — “Young Adult Friction”.
Comme jadis les Stones Roses, The La’s, House of Love… The Pains Of Being Pure At Heat appartient à cette caste rock flamboyante d’auteurs d’un premier album insurpassable (malgré eux). On sait déjà qu’ils ne feront guère mieux après ce coup de maître. Que les prochains disques, même si excellents, souffriront de la comparaison avec la matrice originelle. Que “Young Adult Friction” et “Stay Alive” fait déjà figure d’hymne pop sentimental indélébile. Que sur “This Love Is Fucking Right !” (titre hommage aux Field Mice ou Go-Betweens ?) les arpèges tout en carillons de John Squire reviennent nous obséder. Qu’avec “A Teenager In Love”, il est difficile de ne pas sécher une larme au souvenir de Steve McQueen, non pas l’acteur, mais l’album culte de Prefab Sprout. Que “Come Saturday” nous ramène à 1977, non pas l’année du punk, mais du premier album de Ash et de ses singles insouciants…. Enfin, avec l’émouvant “The Tenure Itch”, on imagine bien Grant Mc Lennan là-haut sur son nuage se dire qu’il n’y a plus de soucis à se faire, que la relève est là. L’incidence nostalgique joue-t-elle sur notre jugement ? L’affaire n’est pas si simple, car incontestablement The Pains of Being Pure at Heart a gardé le meilleur pour insuffler du sang neuf à tous ces chers souvenirs.
– Le site officiel
– Le site de Slumberland Records
– Concerts en France :
5/26 – Paris, France – Batofar
5/27 – Toulouse, France – Le Cri De La Moutte
5/28 – Montpellier, France – Rock Store