To Be Still n’est pas qu’un nouvel album d’Alela Diane. C’est un nouveau départ, un disque majeur d’une artiste sans complexe en devenir.
Il est des coups du sort qui doivent être à l’origine de sacrées sueurs froides. Prenez le cas d’Alela Diane, jeune américaine bercée au son de tout l’americana, transportée au gré des velléités artistiques de ses parents et qui, pour se remettre d’une blessure d’adolescence, se pose enfin dans un petit appartement pour coucher sur bande une poignée de chansons intimistes et personnelles. C’est sans compter sur la bonne étoile d’amis chers qui la poussent à se produire sur des scènes de moins en moins chiches, l’invitant même à publier ses premiers travaux. Et ce qui devait rester un premier disque secret est devenu une véritable sensation commerciale un peu partout dans le monde. Pourtant, The Pirate’s Gospel est un disque qui sort des sentiers battus. Cet americana pur jus, claquemuré dans un classicisme sans fard, a séduit un public immense. Il faut dire que la jeune fille se pose là quand il s’agit de livrer des textes poignants sur des mélodies renversantes. Et ce premier album a finalement tout pour devenir un classique. Et c’est là que les sueurs froides surgissent, la petite chanteuse aux nattes parfaites doit offrir une suite à cet étonnant coup d’éclat. Pas la moindre des gageures entre les fans transis qui attendent la suite parfaite, et les spécialistes qui guettent le faux pas, n’espérant pas grand chose d’une énième artiste folk.
Plutôt que de persévérer dans la veine crue d’une musique au plus près de l’os, la jeune américaine a su brillamment rebondir et livre To Be Still, un disque bien plus arrangé que son illustre prédécesseur, et pas moins réussi pour autant. Elle a entretemps frotté sa superbe voix à Headless Heroes, sensationnel projet de reprises où elle n’intervient qu’en tant qu’interprète principale. Il faut croire que les instrumentations spaciales et la joie de croiser les guitares ont donné un autre sens à sa façon d’aborder son art. Car ce qui frappe d’emblée sur To Be Still, c’est la richesse des compositions et de sa production. Il n’est plus question du duo guitare/voix à peine perturbé par quelques accompagnements vocaux ou percussifs venant donner un ton un brin mystique à l’ensemble. Ce nouvel effort est ouvertement plus exposé et accueillant. Et franchement country par la même occasion.
Autre élément marquant, c’est l’utilisation qu’elle fait de sa divine voix. Seule, elle chante de façon bien plus décontractée et riche qu’à ses débuts. Acompagnée d’un vieux roublard comme Michael Hurley, elle se fait câline — “Age Old Blue”. Elle n’hésite pas à aller chercher des notes tout là haut, pensant très fort à son idole Laura Nyro, sans pour autant pousser les aigus comme la regrettée brunette avait coutume de le faire. On sent aussi que Karen Dalton pèse désormais bien plus dans la façon qu’a la jeune native du Nevada de chanter. Alela Diane n’est plus le petit animal furtif chantant au coin d’un feu la nuit, mais bel et bien une artiste assumant pleinement son rôle. Dès lors, To Be Still est un disque soyeux et délicieusement moelleux, dans lequel il fait bon se lover pour s’abreuver des guitares printanières furetant autour d’une femme mesurée et parfaitement maîtresse d’elle-même et de son univers toujours aussi personnel.
Pour autant, si l’appel du grand large a séduit la nouvelle égérie folk, cette dernière n’en a pas pour autant oublié d’écrire de belles chansons. Il n’est pas un seul titre ici qui ait le moindre soupçon de fadeur. De l’évidence de “White as Diamonds” à la gravité de “The Ocean”, de la mélancolie vibrante de “Take us Back” à la légèreté de “To be Still”, ce deuxième effort ne tutoie pas les anges, il les apprivoise, en fait une armée chargée de répandre la mélancolie et la sérénité sur terre. Une mélancolie et une sérénité basées sur des constats parfois pénibles que la vie est loin de n’être qu’un long fleuve tranquille traversant les plaines du Nevada. Si l’approche de To Be Still est moins évidente que celle de The Pirate’s Gospel, il délivre ses sucs au fil d’écoutes répétées à condition de s’isoler dans une bulle et profiter pleinement des multiples détails qui ornent les chansons. Derrière une apparente homogénéité se cache un souci du détail qui rapproche Alela Diane des orfèvres en la matière, tel le Canadien Ron Sexsmith.
Mine de rien, Alela Diane vient de faire un bond en avant qui la classe désormais parmi les plumes qui comptent. A elle de garder ce naturel même pas calculé et de cultiver cette originalité enracinée dans l’amour de son prochain et de sa guitare. Nous lui prêterons alors allégeance sans le moindre scrupule.
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