Ecouter Barn Owl, c’est fixer le regard de l’oiseau nocturne et s’y perdre.
Pour écouter Barn Owl, il faut accepter de croire aux fantômes. Non pas parce que ces derniers existent, mais parce qu’une telle musique enlève toute l’épaisseur de croyance qu’on a de notre monde concret. From Our Mouths A Perpetual Light est l’histoire d’un déchirement qui secoue fortement les individualités. Les morceaux se structurent autours d’une harmonie qui ouvre un espace pour y accueillir des états changeants, hypnotiques, et mettent celui qui écoute dans une condition méditative où le temps devient fluide. Ce qui fait que l’on associe leur musique le plus souvent à des groupes comme Sunn O))) ou encore Wolf Eyes pour son aspect drone. Le génie du duo californien, c’est de mobiliser non pas que l’ouïe mais le corps entier. Il suffit de s’imaginer se perdre dans l’épaisseur noire et blanche de la forêt de Dead Man de Jim Jarmush.
La référence à la culture amérindienne y est explicite, ne serait-ce que par les titres : “The Stones Speak Thourough Fire”, “Voice of the Another”, “Teonanacatl”, “Oakland Invokation”, “The White Moutain filled with Light”. Mais il ne s’agit évidemment pas d’une musique « sacrée » dans le sens rituel du terme, ni d’un objet fétiche qui permettrait de voyager dans le « passé colonial des Etats-Unis ». C’est ce qu’affirme le célèbre érudit Julien Cope, qui reconnaît par ailleurs dans « l’étendue psychique » du duo un symptôme du monde contemporain et non celui des temps anciens. Mais cela ne l’empêche pas de penser la musique de Barn Owl aussi ancienne que les divinités, aussi « vitale » que « les héros qui ont essayé de les imiter ». La difficulté à laquelle s’affronte le discours est de dissoudre le passé dans une musique contemporaine ; néanmoins une chose est certaine : elle mobilise, met en mouvement quelque-chose chez celui qui écoute.
Peut-être faudrait-il conserver la contradiction et cette impureté temporelle pour y voir — paradoxalement — plus clair. L’autre que laisse entendre From Our Mouths A Perpetual Light est toujours présent dans notre être le plus intime, invisible. Il est en nous, au fond de nous, dans l’abîme qui sépare nos individualités. En ce sens, la référence amérindienne y est comme une sorte de passage possible parmi d’autres pour questionner cette présence, qui dépasse largement l’histoire pour devenir un véritable travail de mémoire. Ce que fait entendre Barn Owl avec From Our Mouths A Perpetual Light, ce n’est pas une seule voix, mais toutes les voix possibles de l’homme, son cri originaire. La musique y devient une sorte d’expérience limite qui ne laisse pas indemne : on s’ouvre au monde et laisse rayonner l’obscure lumière éclatante de notre être, tout en réalisant que la sacralité jaillit là on la croyait perdue, inexistante.
– Page Myspace
– En écoute : “Lotus Cloud”