Tomber d’une montagne. Quelle montagne ? Et pourquoi tomber ? Plutôt attaquer par la face Nord ce huitième sommet des anglais de Tindersticks.


Suart Staples, il faut bien le dire, chante comme un canard. Vilain, boîteux ou à trois pattes, mais un canard, de son timbre nasillard et plaintif. Comme Alain Bashung. Nos idoles rock des ces dernières années ont des voix de velours qui collent à l’aspect agressif de mots susurrés ou à peine articulés ; et ça pourrait suffire amplement à notre bonheur.
Stuart Staples est donc un vrai crooner du désespoir, du cynisme mélancolique. Et jamais cette voix n’a été aussi convaincante que lorsqu’on la découvrit il y a presque 20 ans.

Comment s’enthousiasmer pour le huitième album d’un groupe qu’on adore, même pendant ses coups de « moins bien » ou les excursions solo, et malgré le turn-over du personnel ? Peut-être par une aveugle confiance dans le talent de ces musiciens. Alors que le retour au labeur des Tindersticks, il y a deux ans, via The Hungry Saw, était un fort louable exercice, on retrouve avec Falling down a Mountain un groupe qui a récupéré sa plénitude, capable encore de créer l’émotion et qui semble filer de nouveau à une belle vitesse de croisière. Et ce disque de s’inscrire d’ores-et-déjà dans le haut de la hiérarchie des albums de cette année 2010 à peine commencée.

D’emblée, le morceau titre accroche l’auditeur par un rythme nonchalant mais assez marqué, et la mise en avant d’une surprenante guitare, peu habituelle chez les Tindersticks. Pourtant, tout au long de l’album, le groupe nous rappelle qu’il est un spécialiste des arrangements léchés, toujours à propos et empreints du « petit rien » (là une guitare, ici un piano, des cuivres, plus loin des percussions) qui force toujours le respect. Car si la voix de son chanteur s’inscrit comme une marque de fabrique reconnaissable entre toutes, le backing-band (et ce malgré les remplacements, voire grâce à…) dessine un luxueux décor pour définir ce style Tindersticks inimitable : du far-west « She rode me down » et sa flûte entraînante, au duo avec la très culte Mary Margaret O’Hara sur « Peanuts », en passant par ces petits intermèdes instrumentaux qui rappellent les premiers enregistrements du groupe — « Hubbard hills », « Piano music » voire l’intro de « Factory girl » –, Falling Down A Mountain peut déjà s’élever au niveau de la cordillère formée des trois premiers albums, sommets rarement atteints depuis leur découverte. Enchaînant morceaux enjoués — Harmony around my table, aux faux air de Belle And Sebastian — et comptines lugubres, l’album forme un ensemble clos et cohérent qui devient, en lui-même, un peu plus qu’une simple suite de jolis chansons bien troussées.

Ainsi, le retour des Tindersticks aux affaires peut être applaudi haut et fort. Peu d’artistes possèdent en effet ce savoir-faire qui construit une oeuvre majeure dans des tonalités aux couleurs assez variées pour ne jamais ennuyer. Une oeuvre dont l’ambiance principale, pour être celle du désespoir ou de la mélancolie, est déclinée sous toutes ses formes avec un brio qui ne peut que laisser admiratif.

Espérons que le vilain petit canard n’imite pas trop tôt son homologue français, sous peine de nous priver d’intenses expériences scéniques, à l’aube d’un succès qui devrait enfin être étendu à un large public. Après vingt ans d’escalade, la chute n’en serait que plus vertigineuse.

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