Après trois disques touchés par la grâce et une interruption de 10 ans, Spain est de retour et nous dévoile les facettes de son âme sur un nouvel album à l’inspiration heureuse.
Spain (1) : nom anglais désignant un pays du sud-ouest de l’Europe occupant la péninsule ibérique entre mer Méditerranée et océan Atlantique. Population : 46 millions. Capitale : Madrid. Langue : espagnol.
Spain (2) : groupe américain formé en 1993 par le bassiste et chanteur Josh Haden, fils du légendaire bassiste de jazz Charlie Haden. Auteurs de 3 albums de pop spleenétique dans les années 90 et début 2000. Population, 4. Langue : anglais.
À l’instar de nombreuses formations aimées des années 90, la joie et l’attente concernant ce nouveau disque étaient fortes. Adepte d’une pop dépouillée, baignée dans la mélancolie et une certaine langueur, Spain a longtemps été assimilé à la famille dite slowcore incarnée par un Low ou un Smog. On se souvient de l’inaugural The Blue Moods of Spain (1995) et de ses morceaux de bravoure, « Untitled #1 » et « Spiritual », repris par Johnny Cash en 1996. On retiendra surtout le deuxième album She Haunts my Dream comme chef d’œuvre romantique et obsédant. I Believe, le troisième effort nous avait moins convaincu et le groupe avait cessé toute activité en 2001. Une compilation sortie en 2003 nous rappelait le haut potentiel de séduction Spain, potentiel évidemment décuplé par les gracieuses présences féminines ornant les pochettes du groupe. Josh Haden avait ensuite publié un EP et un album solo, Devoted, sur son propre label. C’est en 2007 que la formation californienne se réunit autour de Haden et de nouveaux musiciens chevronnés : Daniel Brummel (guitare lead), Randy Kirk (guitare, clavier) et Matt Mayhall (batterie). Le groupe accouche d’un single ô combien prometteur en 2010, »I’m Still Free ». Spain est enfin de retour aux affaires.
En 2012, le dépouillement et la mélancolie légendaires des californiens sont toujours au rendez-vous. Dès « Only One » et « Without a Sound », les ingrédients du groupe sont réunis : une basse maîtresse, des guitares caressantes, et le même tempo indolent. La voix douce de Haden se pose délicatement, accompagnée avec grâce par le chœur aérien des triplées Haden. L’inspiration mélodique est toujours en or, le californien parvenant avec justesse à nous transporter avec ses mots de peu, autour des thèmes éternels prisés par le chanteur – l’amour, la liberté, et la spiritualité.
Puis Spain libère une facette de son âme jamais entrevue auparavant avec deux titres franchement rock. Ainsi, « Because Your Love » et « Miracle Man » déploient une musicalité plus charnue avec en bel emballement du rythme cardiaque et de la saturation. Emballés encore, on l’est par la ballade chantée par le guitariste Daniel Brummel. Avec ses cordes, son chœur enveloppant, et son refrain emprunté à un fameux mantra bouddhiste, « All I Can Give » est une des autres heureuses surprises de l’album.
Et tandis que le guitariste irradie le disque de ses solis chatoyants, les claviers de Roland Kirk et le choeur des sœurs Haden lui confèrent une ferveur et une délicatesse rares. Si les mélodies de Josh Haden sont le socle de Spain, l’apport des autres n’est jamais décoratif. Chaque note, chaque son fait sens. Cette cohérence atteint son point d’orgue sur le bouleversant « I’m Still Free » avec ses arpèges capiteux et son ardent refrain. Sorte de gospel moderne, le morceau est particulièrement représentatif d’un album où Haden s’attarde davantage sur ses préoccupations spirituelles qu’amoureuses.
Épuré, cohérent, équilibré, The Soul of Spain est intelligemment produit (Billy Burke aux manettes, visiblement acteur de son métier). L’artwork, lui, nous plonge en terrain connu : ambiance nocturne et vaporeuse, une mystérieuse jeune femme aux yeux baissés (belle photo d’Oriana Small, alias Ashley Blue, ex-star du porno et écrivain).
Il est souvent difficile d’être de nouveau bouleversé par un « vieux » groupe sur le retour, dont l’heure de gloire semble être passée. Spain pourrait être de ceux-là, et pourtant non. L’évolution du groupe et sa pertinence en 2012 est tout-à-fait remarquable. À l’instar d’un Lee Ranaldo, d’un Wedding Present ou d’un Low, les californiens ont définitivement toujours quelque chose à dire, un propos d’une puissance et d’une liberté qui force l’admiration. La beauté et la finesse de leur musique, non seulement intacte, est ici renouvelée.