To Be Kind rappelle combien la formation expérimentale new-yorkaise est unique et précieuse. Un double album qui élève encore le niveau pour aller étreindre des sommets d’émotion et d’extase.


On ne reviendra pas sur l’histoire du groupe expérimental new-yorkais, ses 32 ans d’explorations bruitistes, ni sur l’imposante personnalité de son leader Michael Gira. Parmi la myriade de formations des années 80 et 90 réassemblées récemment, Swans fait figure de bande à part, inaltérable machine créative et modèle d’intransigeance. To Be Kind est déjà le 3è album depuis la résurrection du groupe en 2009 – le 13è album de Swans toutes périodes confondues – et encore une fois un disque fleuve offrant plus de deux heures de musique.

On se souvient du bouleversant My father… en 2010 et de l’hypnotique The Seer en 2012. À force de tournées et d’improvisations gargantuesques, Gira et sa bande ont insufflé une densité neuve à leur musique, où l’air circule encore plus qu’à l’accoutumée. To Be Kind consiste en huit longues transes bruitistes où richesse et maîtrise sonore ne cessent d’impressionner. Le socle noise rock accueille une copieuse palette instrumentale – percussions, vibraphone, lap steel, cuivres, mandoline et autres claviers – qui dessinent une sorte de cinéma sonore méticuleusement dosé. Les basses grondantes et anguleuses de Christopher Pravdica et de l’invité Bill Rieflin sont les charnières d’un Swans toujours sombre ; mais étonnamment groovy (« Screen Shot », « A little God in My Hands », « She loves us »). Les fidèles Phil Puleo et Thor Harris alternent les responsabilités rythmiques autour de frappes répétitives, évoluant parfois en polyrythmies entêtantes (« Oxygen »).

Au centre du disque trône le métallique « Bring the Sun / Toussaint l’Ouverture », déjà travaillé au cours des tournées précédentes, et restructuré ici en 35 minutes ascendantes, dramatiques, et explosives. Ces longues plages, intimidantes au premier abord, ne provoquent pourtant nul ennui car parsemées d’événements passionnants, telles ces explosions chorales dans « A little God in my hands », ces cordes enveloppant « Some things we do », ou encore ces cuivres affolés d' »Oxygen ». Swans semble avoir atteint une maîtrise dans son art de la transe où rythmes, harmonies, durées, et structures s’assemblent idéalement.

Articulé entre une face masculine et terrienne, et l’autre plus féminine et aérienne, To Be Kind invoque et évoque les thèmes de la vie, de l’amour, et du sexe. Michael Gira réitère ces mots et les malaxe en conviant un archipel de figures (« Kirsten Supine », « Nahtalie Neal ») et voix féminines (Little Annie, St Vincent, Cold Specks, Jennifer Church). Entre chaos et ciel étoilé, le groupe réputé sombre et anxiogène livre un nouvel opus généreux, organique, tendu vers la lumière. Capté avec une précision et un vrai sens de l’espace par le très occupé John Congleton, To Be Kind s’avère encore plus immersif et capiteux, offrant une nouvelle fois une expérience musicale et spirituelle sans équivalent.