Le folk rockeur pop de l’Illinois Andrew Bird a choisi sa nouvelle destination. L’envolée est plus modeste, mais les vents sont toujours porteurs de belles mélodies confectionnées maison.
On pourrait analyser la situation d’Andrew Bird comme étant à la croisée des chemins. Reconnu pour ses qualités de songwriter et d’arrangeur, il a déjà depuis bien longtemps quitté le nid de la confidentialité. Sa dernière mue (l’expérimental et éthéré Echolocations: Canyon) il y a un an l’a paré d’un plumage abstrait et moins engageant. Son ramage de 2016 – bien plus accueillant – est à prendre très au sérieux.
Are You Serious est un retour à la source moins maniéré et sophistiqué. L’oiseau Bird a même mangé son sifflet : on ne perçoit discrètement qu’à trois reprises (sur les morceaux « Roma Fade », « Saints Preservus » et « Chemical Switches ») son don inné et magique pour l’art du sifflement.
Ce musicien chevronné est à l’aise en toutes situations et en toutes circonstances. Dans son salon, pour une présentation intimiste de son nouvel album, ou prochainement, à Nashville dans le berceau des ultras de la country, pour le début de sa tournée. Rien ne le déstabilise, tout lui sied. La scène ne sera jamais sa cage.
Une constante tout de même, Andrew Bird ne se déplace jamais sans son violon – instrument orchestre à lui tout seul – dont il extrait la quintessence des multiples sonorités. L’osmose est totale entre le ‘’maître’’ et son violon.
On rappellera simplement qu’il fut un enfant précoce. Dès l’âge de 4 ans il fait l’apprentissage du violon par la méthode Suzuki. Ce violoniste Japonais précurseur et humaniste déclarait en son temps : « Je veux faire de bons citoyens. Si, depuis sa naissance, un enfant entend de la belle musique et apprend à la jouer lui-même, il acquiert de la sensibilité, de la discipline et de l’endurance ». Andrew Bird musicien au cÅ“ur noble appliquera à merveille les préceptes de cet enseignement. Passionné il développera en parallèle son don pour le sifflement. Quand il ne dormait et ne mangeait pas, le petit Andrew, sifflait déjà à l’oreille de ses parents.
Bien des années plus tard et logiquement, ce guitariste accompli s’est construit une discographie reconnue et raffinée. Weather Systems en 2002, The Mysterious Production Of Eggs en 2005 ou Noble Beast en 2009 sont des étapes chaudement recommandées. Bird y développe son art de la pop précieuse, légère et sophistiquée. Sa musique aérienne repose sur des lignes mélodiques graciles et célestes. Sa musique de chambre s’écarte parfois de la pop pour glisser vers des petites symphonies expérimentales. Sa musique élégiaque est parsemée par de nombreux instrumentaux qui apportent une respiration inspirée. Ses références musicales le feront aussi avancer vers les territoires de la country et du folk.
Are You Serious présente encore la palette des multiples possibles : sonorités et ambiances variées sont au programme de ce 11ème opus.
Marié, père de famille et confronté aux vicissitudes de la vie d’adulte, Bird ne joue plus avec les mots, dixit l’intéressé. Ancré dans le réel, il va à l’essentiel, dans un processus d’enregistrement plus direct et concret. Are You Serious est né à l’ombre de toutes ses responsabilités.
La première démonstration est apportée par « Capsized », chanson ballotée depuis une décade, au gré de ses humeurs, laquelle enfin, reçoit aujourd’hui les honneurs d’une version enregistrée. Un morceau classique de pop indé au léger accent soul et jazz construit sur le trio classique guitare, basse, batterie. Son suivant le plus ambitieux – « Roma Fade » – respire la passion. Bird y dépeint la rencontre de sa vie, celle avec sa future femme. La chanson est belle, touchante et rythmée. On y ressent une certaine mélancolie tendre et émouvante.
L’impudique « Puma » lui ne cache rien – Bird y parle cancer et tumeur : « Do you see particules in the air ? » ; « she’s radioactive for seven days ». Sur un rythme euphorisant et stimulant il prône la guérison par les mots et le rythme.
Puis survient l’étonnant duo entre l’ensorcelante Fiona Apple et le placide Andrew Bird. « Left Handed Kisses », pièce acoustique et centrale du disque, est censée s’inscrire dans la grande tradition des duos de légende – Johnny Cash &June Carter, Nick Cave & Kylie Minogue, Isobel Campbell & Mark Lanegan ou les intouchables Nancy Sinatra & Lee Hazlewood. Les rôles sont bien définis, Andrew le sceptique Fiona la romantique s’opposent dans un dialogue de sourd bien trop combatif, qui finit par peser lourdement sur la fluidité du morceau.
Tel un Paul Simon exalté, l’américain Bird n’oublie pas de nous gratifier d’influences plus exotiques. « The New Saint Jude » jongle avec les musiques du monde, et sa passion pour les rythmes afro. Les quatre minutes de cette ‘cosmo pop’ relèvent en tous points le défi. Andrew Bird varie encore la palette des sonorités. Le serein et docile « Chemical Switches » et l’intemporel « Saints Preservus » – ciselé à l’ancienne et à la lisière de la musique de chambre – sont d’engageants fragments de pop musique.
La dernière conversation sonore de cet opus est aussi le morceau de bravoure de Bird. Sur les premiers accords de « Valleys Of The Young » on croit y entendre Thom Yorke, puis on oubli, car les sons de guitares se distordent pour rejoindre des territoires noisy inédits. C’est donc plus vers Sonic Youth qu’il faut y aller chercher une compagnie.
Entouré du guitariste Blake Mills, du batteur Ted Poor, du bassiste Alan Hampton, et de son producteur d’il y a onze ans Tony Berg, Andrew Bird a confectionné un disque à l’ancienne touchant, revigorant et varié. Enregistré au Sound City de Los Angeles, au même titre que le Nevermind de Nirvana, et le After The Gold Rush de Neil Young, on souhaite de tout cÅ“ur, à l’oiseau, le même destin pour son nouvel opus.
En concert au Trianon, à Paris, le 9 mai 2016.