Après douze ans d’absence, Papa M alias David Pajo couche sur bande sa dépression : une route sombre et asthénique, mais au bout du chemin la lumière.



Une porte entrouverte laisse percer un filet de lumière du fin fond des ténèbres… Le visuel tiré de l’album suggère que David Pajo voit enfin le bout du tunnel. Après quelques collaborations artistiquement ratées voire au mieux déroutantes (bassiste interim chez Interpol, les Yeah Yeah Yeahs ou encore Zwan avec Billy Corgan), le musicien américain ne donnait plus vraiment de signes de vie depuis 2010, jusqu’à frôler le point de non retour en 2015 avec une tentative de suicide. En mars dernier, il fût victime d’un sévère accident de moto où il faillit perdre un pied et il s’ensuivit une longue rééducation (on voit David Pajo en chaise-roulante dans le clip de « Bloom »).

Voilà déjà quelques temps qu’on ne reconnaissait plus le prodigieux guitariste – même s’il a toujours pris un malin plaisir à demeurer insaisissable. Lui qui s’était tant distingué au sein de formations incontournables du paysage rock alternatif des années 90 (Slint, Tortoise, Stereolab, Royal Trux, Will Oldham…), puis à travers une oeuvre solo, qui, bien que éparpillée sous divers patronymes (M, Pajo, Aerial M, Papa M…), mériterait aujourd’hui d’être hautement réévaluée à sa juste valeur. Après donc bien de récentes épreuves, David Pajo a retrouvé goût à la vie, et par prolongement à la musique. Il nous revient sous son plus connu pseudonyme, Papa M, dont la dernière trace discographique remonte à douze ans.

Highway Songs est un disque catharsis, des compositions irriguées par une dépression et déclinées sous différentes formes rugueuses du rock, de la folk et même de l’electronica….

Ne pas pourtant s’attendre à une suite de Whatever Mortal, sublime recueil de chansons country-folk rugueuses paru en 2001, ce quatrième opus de Papa M s’inscrit plutôt dans la veine de Hole Of Burning Alms, compilation de singles et raretés essentiellement instrumentaux, parfois à la lisière de l’expérimentation, paru en 2004.  Highway Songs est un disque catharsis,  neuf compositions irriguées par une dépression et déclinées sous différentes formes rugueuses du rock, de la folk et même de l’electronica… Le musicien renoue d’abord avec la guitare électrique (cet instrument exutoire, libérateur, par excellence), dans un registre incroyablement violent voire heavy venant de sa part, « Fatliners » qui ouvre le disque, construit autour d’un riff sabbathien monumentalement écrasant, puis dérive progressivement sur les eaux post-rock de Slint (ou King Crimson c’est selon les âges).  « Bloom », avant dernière piste toute aussi pesante dans le registre “riff ultra gras”, nous loge à la même enseigne, et aurait aisément pu être intitulé  à la place “Doom”.

 


La sombre autoroute empruntée par Pajo nous conduit ensuite vers des pistes insoupçonnées, témoignage de l’incroyable versatilité du musicien : un virage folktronica teinté d’industriel sur “The Particle”, ainsi que  “Coda”, pièce atmosphérique aussi courte qu’étouffante. Ces 28 minutes de trajet au total  suivent délibérément différentes étapes de la psyché tumultueuse de David Pajo, passant du chaos vers la lumière… A mi-parcours « Dlvd », est une parenthèse acoustique méditative encore grisâtre bien qu’apaisée, mais il faudra véritablement attendre la sixième plage pour guetter les premières lueurs d’espoir sur « Walking on Colorado », post-rock solaire flanqué d’une boite à rythme rudimentaire et quelques notes mélodieuses à la six-cordes folk.

La clé d’Highway Songs se trouve tout au bout du chemin, sur l’émouvant « Little Girl », où Pajo se décide enfin à chanter. Une folksong dans son plus simple appareil, une chanson de guérison dédiée à sa fille ( “My little girl teach me the life again”).  Circonstances oblige, la pochette d’Highway Songs nous fait echo aujourd’hui avec la chanson Anthem du Field Commander, Leonard Cohen, relayée partout sur la Toile et au-delà depuis sa disparition : « There is a crack in everything, That’s how the light gets in. ». Car la route fut longue et douloureuse, mais David Pajo est bel et bien en rémission.

 

Drag City / Modulor – 2016

Tracklisting :

  1. Flatliners
  2. The Love Particle
  3. Adore A Jar
  4. Divid
  5. Coda
  6. Walking On Colorado
  7. Green Holler
  8. Bloom
  9. Little Girl