Pour son troisième album après cinq ans d’absence, le duo rock de Vancouver varie les plaisirs avec une énergie décuplée et revigorée.



Cinq ans pour enregistrer huit chansons, c’est très peu pour un groupe de rock. Toutefois, venant du duo de Vancouver Japandroïds, on peut raisonnablement estimer qu’il n’y aura pas de déchet. Car le chanteur et guitariste Brian King et le batteur David Prowse nous ont toujours habitué à ce ratio sur leurs deux précédents albums : huit morceaux pure condensé d’adrénaline rock, balancés sans temps mort, avec à la clé quelques hymnes comme on n’avait plus l’habitude d’en entendre. Leur formule minimaliste guitare/batterie, brouillonne mais gros son qui tâche, ajustée à un sens mélodique redoutable, leur permettait de flirter avec une certaine emphase rebelle sans y laisser trop de plume, à la manière jadis d’Arcade Fire (les monstrueux « The House That Heaven Built » et “Sovereignty”).  En remontant plus loin dans le temps, une telle ferveur punk-rock nous renvoyait non sans émotion aux glorieux Replacements de Minneapolis. On retrouve d’ailleurs dans la voix de Brian King, la verve juvénile d’un Paul Westerberg.

Après le garage rock exalté de Post-Nothing (2009), puis le monumental Celebration Rock (2012), ce troisième album avait donc la lourde tâche d’entretenir cette flamme, ce “continuous thunder” qui habite tant leurs chansons. Pari d’autant plus difficile que cinq années se sont donc écoulées. Near To the Wild Heart of Life sonne pourtant encore plus énorme que son prédécesseur. Le décapant morceau-titre qui ouvre les hostilités, avec son refrain ultra fédérateur, rassurera les inconditionnels de Celebration Rock. Un morceau “Bigger than life”, expression typiquement américaine, intraduisible par chez nous, mais complètement dans le propos. On aime ou on n’aime, mais on ne peut nier son efficience.

Passé cette imparable entrée en matière, on redoutait toutefois de la part du duo canadien qu’il décline leur formule “guitare en avant” non sans redondance sur les sept pistes restantes. Or, ce n’est pas le cas, Japandroïds réussi à se réinventer en sortant de sa zone de confort, en variant les ambiances, quitte à délaisser l’esprit Lo-Fi. A la faveur notamment de la production du fidèle Jesse Gander (le troisième homme de l’ombre, présent depuis le premier album) dont le mérite n’est pas des moindres cette fois : réussir quelques délicates incursions de nappes synthétiques sans dénaturer l’approche frontale du duo. Ainsi, les passages atmosphériques entre deux bourrasque électrique sur “I’m Sorry (For Not Finding You Sooner)” et « In a Body Like a Grave », ou encore l’introduction planante de “Midnight to Morning”, s’imposent comme une véritable réussite.

Facteur significatif de cette évolution, le songwriting a incontestablement franchi un palier supérieur. Near To the Wild Heart of Life est à ce jour le disque le plus varié de Japandroïds.  Alors que par le passé chaque disque proposait une reprise (Thin Lizzy, Gun Club…), nous avons droit cette fois à huit compositions originales, signe d’une volonté d’affirmer son identité.  Plutôt que de ressasser son émo rock alternatif, Brian King cherche d’autres pistes et fait même preuve d’une finesse qu’on ne lui soupçonnait guère – comme sur la pop enjouée de « North East South West », teintée d’arpèges acoustique. Voire même une certaine sophistication dans la construction des compositions, comme l’impressionnant “True Love and a Free Life of Free Will”.  Là-dessus, difficile de ne pas saluer la performance du batteur David Prowse, qui délivre un festival de roulements et de contre-temps rythmiques ininterrompus et de porter littéralement à bout de bras l’album. L’homme contribue grandement à procurer aux chansons cette urgence qui fait tout le sel du groupe.

On notera seulement une petite baisse de régime sur « Arc of Bar », trop synthétique, et choeurs d’enfants en « oh ! oh ! » un peu envahissant… Pour le reste, Japandroïds a relevé son défi : pousser encore dans ses retranchements, même si ce n’est plus nécessairement en empruntant la voie de la grosse distorsion, mais en variant les plaisirs. Cinq années ont donc été nécessaires pour aboutir à ce Near To the Wild Heart of Life, mais au bout du compte, la marge de progression est justifiée. L’attente en valait la peine.

 

Anti – 2017

Site officiel : > http://japandroids.com/

Near to the Wild Heart of Life Tracklisting:

  1. Near to the Wild Heart of Life
  2. North East South West
  3. True Love and a Free Life of Free Will
  4. I’m Sorry (For Not Finding You Sooner)
  5. Arc of Bar
  6. Midnight to Morning
  7. No Known Drink or Drug
    8. In a Body Like a Grave