Une certaine idée de la pop song parfaite, par un duo pointilliste et romantique, Mehdi Zannad et Erin « Eddy » Moran.


Dans une chanson, un infime détail peut se révéler capital. Retirez-donc la sonnaille (cowbell) dans “Don’t Fear The Ripper” du Blue Oyster Cult, ou bien la flûte dans “Il est cinq heure, Paris s’éveille” de Dutronc, le morceau perd fatalement de son charme singulier. La liste d’exemples peut continuer ad vitam eternam.

L’esthète parisien Mehdi Zannad, qui se partage entre ses deux passions, la musique et l’architecture, en sait quelque chose :  une petite pièce manque, une mesure, et c’est tout l’édifice qui peut pencher. Nous avons affaire ici à un pur orfèvre de la mélodie, une espèce devenue rare au XXIe siècle, et donc très précieuse à nos yeux (ou plutôt nos oreilles). Cet anglophile, auteur, compositeur, arrangeur et interprète, s’est fait connaître sous l’alias Fugu – deux merveilleux albums en 2000 et 2005, puis un troisième, Fugue en 2011, chanté dans la langue de Polnareff, tout aussi réussi. Déjà à l’époque, le premier album de Fugu tranchait par son esthétique rétro très poussée, son pointillisme, avec en tête l’idée d’atteindre cet idéal de l’“harmonie éternelle”. Celle qui brûla les neurones de Brian Wilson, mais aussi nous fit chavirer sur les cordes baroque de The Left Banke, la chatoyance de la sunshine pop de The Millenium, le dandysme d’un Burt Bacharach, sans oublier le Macca d’Eleanor Rigby. Du standing cinq étoiles en somme, où rien n’est laissé au hasard.

En 2018, Mehdi Zannad n’a pas abandonné sa quête. Avec The Last Detail, il n’a même jamais autant approché du but. Un nouveau projet co-écrit avec la songwriter américaine Erin Moran, alias A Girl Called Eddy. Moran est l’auteure d’un unique album de pop orchestrée paru chez feu Setanta en 2003, produit – excusez du peu – par Richard Hawley. Le disque, passé alors quasi inaperçu du grand public, ne laissa cependant pas indifférent les fans de Burt Bacharach, Scott Walker ou de la regrettée Karen Carpenter. Mehdi Zannad était évidemment l’un d’eux.

Le fugueur en chef et “la fille appelée Eddy” travaillent ensemble sur ce projet depuis dix ans –  Moran vivant en Angleterre, les contraintes de la correspondance n’ont certainement pas facilité les délais. Mais l’attente en valait la peine. L’album a trouvé refuge chez le fin label madrilène Elefant Records (Camera Obscura, Trembling Blue stars).  

Copyright : Yannis Roger

Si The Last Detail, emprunte son patronyme au film interprété par Jack Nicholson (La dernière corvée, titre de son adaptation française, traduction à l’ouest), nous sommes loin de l’histoire de prisonnier. Sur ces 13 compositions, en grande majorité chantées par Erin Moran, on pense plutôt au Liberation de The Divine Comedy. Une pop viscéralement romantique, aristocratique par l’usage d’un piano précieux, d’un clavecin, et bien sûr ses arrangements de cordes et cuivres (le folky « Fearweather Friend », avec le chant doucereux d’Erin Moran). Un casting de collaborateurs triés sur le volet a évidemment été nécessaire pour donner vie à cette délicieuse pièce-montée, parmi eux Xavier Boyer et Pedro Resende (Tahiti 80), le batteur Julien Barbagallo (Tame Impala) et Olivier Marguerit alias O (Syd Matters).

On peut mesurer ce degré de perfection sur le grandiose “Lazy”, symphonie de poche dont le final donne le vertige ; « Die Cast » et ses trompettes galvanisantes qui épousent les même courbes hispanisantes que Love et les Pale Fountains. Et puis on savoure ce sens de l’accroche mélodique imparable sur le refrain bienveillant de « Trust Your Buddy », chanté par Zannad (“Don’t forget what’s real and true),  et single entêtant « Fun Fair », avec ses choeurs en “dabada” très sunshine pop. Et puis une étrange exception au milieu de tout ce raffinement, “Talk To Me”, avec son p’tit côté Eurythmics qui ferait presque rougir, mais dont la mélodie, impeccable, nous fait capituler.

Déjà emballé d’une pochette aux couleurs de saison, The Last Detail s’impose, de fait, comme le cadeau des fêtes par excellence.

Elefant records –  2018 

 

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Tracklisting :

  1. Softly (Part 1)
  2. Fun Fair
  3. You’re Not Mine
  4. Trust Your Buddy
  5. Take My Hand
  6. Fairweather Friend
  7. Lazy 03:20
  8. Talk To Me
  9. Die Cast
  10. Tears
  11. Places
  12. Softly (Part 2)
  13. Photographs