Kurt Wagner nous glisse en douceur et avec mélancolie ce qu’il a sur le cœur. C’est musicalement de l’ordre de l’intime.


Le musicien de Nashville (Tennessee) Kurt Wagner a ôté sa casquette, c’est un signe qui ne trompe pas. Son quatorzième LP s’annonce donc dénudé et personnel. Musicalement un petit doute nous tiraille quand même : This (is what I wanted to tell you) 14 ème opus de Lambchop (quand même !) sera-t-il  un disque de folk-country acoustique et intime ou va-t-il  à l’opposé creuser un peu plus le sillon de son précédent opus, l’électronique et l’auto tuné Flotus ? L’ex charpentier et figure de proue de la country alternative a tranché. Doit-on pourtant s’en réjouir ?

Il y a deux ans Flotus avait globalement reçu un accueil très favorable ; Kurt Wagner avait alors surpris son monde en virant assez sèchement de direction musicale, le musicien nageait alors dans les eaux claires de l’électronique, des voix trafiquées et du bidouillage synthétique. Auparavant l’electro n’était incorporée que très sporadiquement dans ses compositions à l’exception de sa parenthèse HeCTA de 2015.
Flotus fut accueilli comme il se doit. Le vibrant “In Care Of 8675309” et sa conclusion “The Hustle” – premier et dernier morceau tout deux magnifiques et étirés sur de longues minutes – avaient marqué les esprits et contribués fortement à bonne réception de cet LP.
Mais à ce stade deux écoles s’affrontent : compositions country-soul versus enrobage electro RnB. En gros, Kurt Wagner doit-il coûte que coûte reproduire ad-vitam les mêmes climats sonores à quelques delta variations soul, post-rock, jazzy,… ou bien a-t-il le droit d’innover au risque de diluer sérieusement ses compositions dans un habillage sonore electro à priori bien plus impersonnel et froid car synonyme d’un gros travail d’ingénieur et de producteur.
Soit dit en passant un autre vétéran de la cause indie rock, Stephen Malkmus, vient lui aussi de s’essayer tout récemment à l’exercice sur Groove Denied (mais en partie seulement).

On plonge donc d’emblée dans son nouveau monde. Les synthés, sa voix scientifiquement retravaillée (vocoder entre autres) et les boites à rythmes seront la norme ici. Même prévenu ce choix artistique nous déstabilise quelque peu car il nous éloigne drastiquement du canevas habituel de ses compositions d’antan ; mais assez rapidement Kurt et ses musiciens achèvent de nous convaincre. On se love bien volontiers dans ce berceau ouaté et sensuel finalement pas si clinique.

“The New Isn’t So You Anymore” est une plongée langoureuse. Le décor est planté et tous les protagonistes s’expriment avec brio ; le piano est irréel et intimiste, l’harmonica désabusé et le tempo voluptueux, le chant de Wagner est aussi bien trituré et poussé dans ses retranchements.

Le musicien Matt McCaughan batteur de Bon Iver de longue date et régulier de His Golden Messenger ou Portastatic est à l’origine de ce spectaculaire revirement stylistique. La moitié de ce disque sera au final écrit par McCaughan. Cette flambée de synthétiseurs, cette pulsation électronique ou cette ambiance mélancolique et nocturne particulièrement travaillée c’est à son initiative.
À l’instar du précédent Flotus on retrouve les incontournables Tony Crow au piano et Matt Swanson à la basse. Mais un invité de marque est aussi de la partie. Charlie McCoy légende à l’harmonica et prophète à Nashville apposera ponctuellement sa patte discrète et fantomatique.

Sous une homogénéité apparente se dissimule une myriade d’ambiances secondaires.
“Everything for you” exhale une sensuelle mélancolie qui s’intègre à un beat soul et funky. Vient alors à l’esprit le mythique “Unfinished Sympathy” de Massive Attack. On imagine alors Kurt Wagner déambulant dans la cité de Nashville à l’instar de Shara Nelson à Los Angeles il y a bien longtemps dans le clip de Massive Attack.
La force de ce disque est de nous égarer par séquences vers de belles et familières références passées (Talk Talk, Blue Nile) synonymes d’atmosphères élégiaques.

Le somptueux “This (is what I wanted to tell you)” pierre angulaire de cet opus est une ode aux climats crépusculaires. Cet aparté est particulièrement soigné, ce titre possède un souffle intimiste et magnétique prononcé, le timbre de voix de Kurt Wagner est à la limite de l’inconfort vocal sur les traces du regretté Scott Walker, la trompette de Jacob Valenzuela étire langoureusement ses sonorités jazzy à la John Hassell. Puis vient “Flower”, la conclusion épurée de tout son vernis, la voix claire et chaude de Wagner s’est libérée de ses artifices de production, elle est accompagnée par quelques notes de guitares associées à l’harmonica de McCoy, le tout achève en beauté et sobrement ce quatorzième disque.
Le capitaine Kurt confirme brillamment le changement de cap de son ‘Enterprise’.

City Slang / 2019

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https://cityslang.com/releases/lambchop-this-is-what-i-wanted-to-tell-you

 

Tracklisting :

  1. The New Isn’t So You Anymore
  2. Crosswords, Or What This Says About You
  3. Everything Is For You
  4. The Lasting Last Of You
  5. The Air Is Heavy and I Should Be Listening to You
  6. The December-ish You
  7. This Is What I Wanted To Tell You
  8. Flower