Une voix et des convictions, c’est le menu pimenté et en technicolor du puissant album de l’anglo-pakistanaise Nadine Shaw.
Le titre (Holiday Destination) et la pochette (un champ de ruines) du précédent LP (nominé au Prix Mercury en 2017) de la chanteuse et songwriter britannique Nadine Shah ne laissaient planer aucun doute sur ses intentions politiques (la crise des réfugiés).
Trois ans après, et un confinement mondial subi, Shaw se recentre sur elle-même, et exprime sur son quatrième opus des convictions plus personnelles et féministes. Son nouveau monde c’est la fin du monde d’avant : celui de tous les préjugés misogynes, de l’exploitation domestique et social des femmes et des formules et convictions toutes faites. La démonstration ne tarde d’ailleurs pas à venir ! Le flamboyant et sarcastique premier titre « Club Cougar » attaque en effet avec mordant :
« Call me pretty, Make your manœuvre, One year younger, Call me a cougar »
La visée de cet opus analyse la situation des femmes dans la société anglaise. La base d’inspiration de l’artiste ce sont des récits de connaissances et d’amies captés lors de conversations dans les pubs anglais. Ce postulat sociologique légitime et sérieux ne prend pas le pas sur la musique développée qui demeure très pop et festive. «Club Cougar » est à ce titre éloquent : la rythmique est hyper entrainante et gonflée par une section de cuivre et un saxo tous deux exubérants. Des cris de ralliements et des sifflets propulsent cette mélodie exotique en montagne russe.
La voix sensuelle, ample et androgyne de Nadine Shah est son atout numéro un. Les arrangements musicaux et la rythmique ne pouvaient qu’être à l’unisson de cette dynamique et allant remarquable. Puissants et épiques ils le seront tout au long de ces 11 titres. Le producteur Ben Hillier (Depeche Mode) et Nadine Shaw ont main dans la main concocté ce menu riche en textures sonores. Tous deux sont grands fans des Talkings in Heads ; Kitchen Sink est naturellement parcouru par l’influence de son géniteur David Byrne. Mais vient aussi s’ajouter de réelles et affutées influences gothiques et post-punk. Le mélange des genres demeure pertinent.
Les envolées sonores de Nadine Shaw sont à la croisée des cavalcades de la grande prêtresse gothique Siouxsie Sioux (période The Creatures) et de l’exubérante musicienne américaine Jessie Evans. Bien souvent le rythme explose : dans un tourbillon dynamique de synthés et de cuivres « Walk » ou après quelques accords de synthés ensorcelants « Ladies for Babies (Goats for Love) » qui précèdent l’explosion d’un refrain agressif.
La voix de Shaw est constamment prenante. Sur « Buckfast » les accords distordus et bien rock de guitares affutent dangereusement la mélodie. Quand le propos et la dénonciation des préjugés matrimoniaux atteignent un climax la musique se fait plus expérimentale et la voix de la britannique Shaw est alors à son apogée («Trad»). «Kite» suit la même voie miroitant une ambiance sonore nocturne et étrange.
La musique et l’inspiration créative de la compositrice semble se nourrir de ses convictions militantes. La courbe de son inspiration débuté en 2013 avec l’album Love Your Dum And Mad progresse crescendo et au même rythme que la force de ses revendications. Cet opus est sans conteste aujourd’hui le point culminant de sa discographie. Kitchen Sink est envoûtant, militant et jamais ennuyant. La réussite de sa prochaine étape dépendra surement d’un nouveau thème vital et cher à ses yeux.
Infectious Music – 2020
https://www.facebook.com/Nadineshah
Tracklisting :
- Club Cougar
- Ladies For Babies (Goats For Love)
- Buckfast
- Dillydally
- Trad
- Kitchen Sink
- Kite
- Ukrainian Wine
- Wasps Nest
- Walk
- Prayer Mat